Double actu : Luc Jacquet, expo Terra incognita à Lyon et Voyage au Pôle sud au Cinéma

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màj en août 2024

Combien de personnes dans l’Histoire ont posé le pied sur le plus sauvage des continents, l’Antarctique, autrefois appelé “Terra incognita”, cartographié seulement depuis trois siècles et aujourd’hui bien malmené par le changement climatique ? Très peu*. Combien y ont laissé leur vie ? Nombreuses. Le réalisateur oscarisé pour La marche de l’Empereur, Luc Jacquet, fait partie des rares aventuriers - privilégiés - à avoir fait une quinzaine de fois l’incroyable et dangereux voyage. De sa dernière expédition, il tire non pas une, mais deux œuvres hypnotiques : une exposition immersive au musée des Confluences à Lyon, à voir jusqu’au 3 mars, et un documentaire actuellement en salle, Voyage au Pôle sud. Où l’on est autant subjugués que questionnés.

La folle histoire de l’attraction du sud 

Les non Lyonnais peuvent-ils voir le film sans l’expo et peut-on visiter l’expo sans le film ? La réponse est oui. Les deux œuvres vivent indépendamment l’une de l’autre tout en étant complémentaires. Il est assez rare, voire inédit, qu’un réalisateur propose une déclinaison, dans le même temps, d’un long-métrage en salle et d’une exposition sur le même sujet. Notre recommandation liminaire est donc de se plonger dans les deux autant que faire se peut. Plus qu’une œuvre en diptyque, l’ancien étudiant écologue partage l’histoire d’une fascination magnétique - la sienne naît en 1991, année de sa première expédition, alors en tant que chercheur - pour les terres australes : le Pôle sud. 

Au deuxième étage du musée des Confluences, on comprend vite que Luc Jacquet n’est pas le seul à avoir attrapé le virus de l’Antarctique. La première salle, dédiée aux cartes, révèle le récit de vingt siècles de fascination pour cette région autrefois nommée “Terra incognita”, à l’époque où personne ne savait ce qui se trouvait après l’Éthiopie. La première mention des lieux date du 2ème siècle avant J.C, le premier repérage visuel du continent de 1819, le premier pas à terre de 1895, la première expédition rejoignant le Pôle Sud de 1911. Devant nos yeux, un écran et d’immenses voiles animent cet épique récit géographique, renflouant nos maigres connaissances en la matière. Surtout, l'installation veut nous faire vivre “l’expérience Antarctique”. C’est également l’intention du film. Qui des deux réussit le mieux ce pari ? Chacun regorge de trésors esthétiques mais notre préférence va plutôt à l’expo, qui annonce qu’elle est immersive et, pour une fois, l’est réellement. 

© Exposition Terra Incognita, voyage au bout du monde musée des Confluences © Philippe Somnolet / Item, 2023

Ressentir toute la beauté du monde

À Lyon, nous sommes happés par un univers en trois dimensions savamment pensé par Luc Jacquet. Le cinéaste a initié, nourri et supervisé l’intégralité du parcours. Au plafond, des nuages de mousse - pas ridicules - voguent tandis que défilent sur un écran géant central en forme de cube, des vidéos, telles des tableaux. Patagonie, Cap Horn, Cinquantièmes hurlants, sculptures de banquises et icebergs, océans déchaînés, chorégraphies animales. Aux murs, d’autres images polaires se fondent avec des extraits de textes d’explorateurs et d’auteurs de fictions, connus ou méconnus. Une absence nous intrigue. N’y a t-il pas eu d’autrices parlant de ce recoin du monde ? L’exposition n’en souffle mot mais cet oubli n’a pas gâché notre plaisir pendant les 45 minutes du circuit. On regrette cependant que les indications du fonctionnement de l’immersion en six étapes soient trop sommaires. La plupart des visiteu.se.r.s partent avant la fin et ratent de grandioses paysages.

Côté documentaire, le sublime n’est pas en reste. Certains plans d’une beauté hallucinante justifieraient presque à eux seuls la raison d’être du film. La voie lactée dans la nuit polaire assise sur une mer de nuages, le travelling avant sur le pont du bateau qui se perd vers la balustrade et les flots, la ligne de manchots empereurs vue du ciel sur l’immensité blanche, ou encore le balai sous-marin animal, sont des bijoux décuplant le sentiment d’immensité éblouissante que souhaite partager Luc Jacquet. A part quelques secondes en couleur près du Pôle, tout est en noir et blanc, « parce que la ligne qu’on trace de la Patagonie au pôle Sud finit par une dissolution vers le blanc » explique le réalisateur au CNC, l’un des soutiens financiers du film. Et cela fonctionne. La lumière si particulière à ces latitudes magnifie ce monde bicolore réduit à l’essentiel. Seul bémol, les images s’enchaînent vite et l’on aurait apprécié qu’elles s’alanguissent sur l’écran.


« Les géographes des anciens temps mentionnent parfois l’existence d’un mystérieux continent, établi au sud de tous les mondes connus, auquel la tradition prête le nom d’Antarctique ». Sir Ernest Shackleton, explorateur polaire 1919 (Citation extraite de Terra incognita)


Si le film et l’expo s’adressent ensemble à nos émotions via nos sens, une différence les sépare : le son. Au musée des Confluences, le travail à son égard est remarquable. Dès l'arrivée, des panneaux invitent les spectateurs à fermer les yeux pour se laisser porter par le chant des bruits du cercle polaire. La glace et les mâts craquent, le vent souffle, il fait même danser les toiles des installations rappelant celles des bateaux. Côté documentaire, Luc Jacquet offre, à notre goût, trop peu d’espace aux silences et aux sons bruts du tournage. « Il s’agit de son naturel enregistré qui a été remonté, bruité et sound-designer en post production » nous précise-t-il. Résultat, nous sommes parfois projetés hors du film, entraînés également par l’imposante musique du compositeur Cyrille Aufort, avec qui il a déjà collaboré. Certains passages rappellent la discrète puissance de Johann Johannsson dans Arrival de Denis Villeneuve, d’autres accumulent les violons, sortent l’harmonica, et l’on ne sait plus si l’on est dans le sud polaire ou le sud américain. Une métaphore du réchauffement climatique ? 

© Exposition Terra Incognita, voyage au bout du monde musée des Confluences © Philippe Somnolet / Item, 2023

Antarctique et écologie : deux salles, deux ambiances

Justement, et le réchauffement climatique dans tout ça ? Et bien pas grand chose, du moins explicitement. « Un parti pris » nous indique le Directeur des relations extérieures et de la diffusion du musée des Confluences, Cédric Lessec, « pour sensibiliser à la fragilité de cette région à travers l’émerveillement qu’elle provoque ». On comprend l’idée mais comment ne pas profiter des superbes cartes présentées pour évoquer la destruction géographique de cette partie du monde ? Puisqu’elles montrent l’évolution de ses frontières, pourquoi ne pas mentionner leurs futurs concours, bientôt rétrécis avec la montée des températures et des océans ? Cette interrogation posée, reprocher au musée de rater la marche écolo serait injuste, quand sa programmation s’engage particulièrement dans cette voie - tout comme, depuis trente ans, le combat de Luc Jacquet.

A contrario, dans Voyage au Pôle Sud, le réalisateur exprime ouvertement la catastrophe. Sûrement mais … doucement. Les forêts incendiées en Patagonie, les phoques risquant de perdre leur habitat sont bien présents, mais à la marge, loin, par exemple, de l’intention dénonciatrice d’un Home de Yann Arthus Bertrand. En 2008 on filmait la terre mal en point du haut d’un hélico sans cas de conscience. Quinze ans et une tribune verte en plein festival de Cannes plus tard, on commence à envisager les films sur l’écologie - au sens large - en interrogeant aussi la façon dont ils sont produits. Le tournage de Voyage au Pôle sud a-t-il été l’occasion d’emmener des scientifiques effectuer des recherches ? « C’est nous qui avons profité de la logistique d’expéditions scientifiques (base belge de Princess Elisabeth et base française Dumont d’Urville) pour tourner, d’où la taille très réduite de nos équipes (3 à 6 personnes), également due à une volonté de minimisation d’impact » répond Luc Jacquet. En 2024, la vertigineuse question de savoir comment concilier liberté créative avec la pollution mécaniquement engendrée, demeure. 

© Extrait du film Voyage au Pôle Sud de Luc Jacquet, Memento Distribution

Être « comblé par la splendeur du monde »

Alors qu’a voulu faire Luc Jacquet ? Des confrères ont pu qualifier Voyage au Pôle sud d’« ego-trip ». Dire que nous ne sommes pas tentés d’employer ce qualificatif serait mentir. Un seul passage dévoile ses compagnons de tournage, le film étant construit comme un journal de bord autour du réalisateur. Sa voix off porte l’ensemble. L’écriture est délicate mais assombrie par l’omniprésence d’un “Je”, glissant parfois vers la posture d’un « privilégié », lui-même emploie ce mot. Le jour de notre visionnage, un groupe d’enfants de 3 à 6 ans se trouvait dans le public. Lorsque nous avons entendu le narrateur du film dire « A mon âge, on commence à se demander combien de voyages il nous reste à faire », on a pensé à ces petits spectateurs. Eux, combien de voyages lointains pourront-ils faire dans leur vie ? Et auront-ils la chance de rêver d’aventures australes si l’Antarctique est rayée du globe ? Étonnamment, l’exposition prend le contre-pied total du long-métrage. C’est très simple, si l’on ne vous dit pas que Terra Incognita a été imaginée par Luc Jacquet, vous ne pouvez pas le savoir ! Sur place, son nom n’apparaît nulle part. « Le film est une réflexion très personnelle, quand, au contraire, l’exposition invite les visiteurs à faire leur propre voyage » détaille le dossier presse. Comme une volonté, dans un cas, de disparaître derrière la beauté du monde, et dans l’autre, de s’accorder un plaisir coupable. Peut-être… le dernier. 

Ce film raconterait-il la lassitude de l’auteur à tirer la sonnette d’alarme ? En 2018, il avouait à France Info chercher la bonne méthode pour mobiliser les gens. Sa double actualité semble dessiner une piste, si l’on compare les chiffres de fréquentation des salles obscures à ceux des musées. Voyage au Pôle sud a comptabilisé, en trois semaines d’exploitation, 76 000 entrées** - nombre tout à fait honorable pour un documentaire. Terra incognita, en trois mois et demi d’ouverture, a déjà rassemblé 105 000 personnes***. A titre de comparaison, une précédente exposition Antarctica - sur le même thème et dans les mêmes lieux en 2016, également co-signée par Luc Jacquet - avait attiré 600 000 personnes***, soit plus que la majorité des films sortis en salle en France . Ces différents médias, en s’alliant, n’ont-ils pas de belles armes à ciseler ? La phrase de conclusion du film invite à cet élan et à l’espoir : « Que nos enfants aient le sentiment d’avoir été comblés par la splendeur du monde ». De jolis vœux pour 2024 de la part d’un grand naturaliste.

Luc Jacquet dans le Mercantour, Hiver 2019 © Sarah Del Ben

Infos pratiques et sources

  • Terra incognita : Exposition jusqu’au 3 mars 2024, musée des Confluences à Lyon, détails.
  • Voyage au Pôle sud : long-métrage documentaire de Luc Jacquet. Liste des salles diffusant le film ici.
  • Luc Jacquet : a fondé la société de production Icebreaker nature entertainment studios, qui produit des films sur le vivant. Infos
  • Crédits photos de couverture : Extrait du film Voyage au Pôle Sud de Luc Jacquet, © Memento Distribution
  • Note* : Jusqu’en 1990, le tourisme est très peu développé en Antarctique (environ 5 000 visiteurs par an, avant cette date) et seuls les scientifiques utilisent la soixantaine de bases dispersées sur les 14 millions de kilomètres carrés - plus grand que l’Europe - du continent blanc (il n’y a jamais eu de population autochtone). Depuis, bien que contrôlé, le tourisme connaît un engouement exponentiel avec des chiffres divergents en fonction des sources (de 25 000 à 170 000 visiteurs par an). 
  • Sources : **Memento Distribution, ***Musée des Confluences
© Extrait du film Voyage au Pôle Sud de Luc Jacquet, Memento Distribution
© Extrait du film Voyage au Pôle Sud de Luc Jacquet, Memento Distribution
© Extrait du film Voyage au Pôle Sud de Luc Jacquet, Memento Distribution
Alexia Luquet
Journaliste et réalisatrice vidéo, Alexia couvre des sujets au croisement de la culture, du sociétal et de la planète.
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