Ouragans, mégafeux, inondations, sécheresses : les événements météorologiques extrêmes se multiplient sous l’effet du réchauffement climatique. Ils s’imposent à nous – et aux artistes. Tour du monde en quatre créations et autant de médiums, sans oublier l’espoir après la catastrophe.
Un œil dans le rétro : le petit âge glaciaire
Et si l’on faisait un détour par le frais XVIe siècle avant de plonger dans le brûlant présent ? Entre le XIVe siècle et la fin du XIXe siècle, l’Atlantique nord connaît en effet des hivers longs et froids, ce qui vaut à la période d’être nommée « petit âge glaciaire ». Il est particulièrement représenté dans l’art flamand (territoire à cheval sur les actuels Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, France et Allemagne), qui voit apparaître au seizième siècle une peinture réaliste, dépeignant des scènes du quotidien – avec souvent un sous-texte moral.
Dans le tableau Chasseurs dans la neige, Pieter Bruegel l’Ancien superpose des chasseurs semblant rentrer épuisés d’une journée infructueuse, tandis qu’au loin, on patine joyeusement. Les oiseaux qui survolent le paysage étaient parfois choisis comme métaphore de l’âme dans les difficultés de la vie. Les chasseurs mettent-ils en garde les patineurs ?
Aujourd’hui, la joie de faire du patin à glace n’est plus à contraster avec le risque (bien réel à l’époque) de mourir de faim, mais plutôt avec la tristesse de voir ce loisir disparaître à cause du réchauffement climatique.
Fixer l’imprévisible
Le premier satellite météorologique, Tiros 1, a été lancé le 1er avril 1960 depuis Cap Canaveral. En 2024, on peut donc voir la planète Terre de bien plus haut que la colline de Bruegel l’Ancien, via des centaines de clichés accessibles d’un clic. Visuels qui ont par ailleurs influencé la représentation que nous nous faisons de la Terre, à l’instar de la légendaire Blue Marble (Bille bleue).
Pour sa série en cours Something Moves, l'artiste Caroline Corbasson est justement partie de ces images satellitaires, qu’elle réinterprète à la pierre noire ou à la peinture à l’huile. « La production de ces images naît de la volonté de prédire le temps. Mais malgré l’évolution des technologies en matière de météorologie, la nature demeure imprédictible et invite à l’humilité », déclare l’artiste.
450 ans après Bruegel, on n’a toujours pas domestiqué la nature - ni les émotions qu’elle provoque : « le thème majeur que je veux mettre en lumière est celui du vent et de son ambiguïté ; tant source de vie que de destruction », conclut Caroline Corbasson.
Faire chanter les tempêtes
Les tempêtes forment aussi la matière première des œuvres colorées de Nathalie Miebach. Si on peut apprécier les sculptures (faussement joyeuses ?) telles quelles, elles sont en fait la première étape vers la création d’une autre œuvre, musicale cette fois-ci. L’artiste utilise en effet des données météorologiques qu’elle « inscrit » dans les sculptures, générant des partitions non conventionnelles dont se saisissent ensuite des ensembles contemporains.
La sculpture Harvey Twitter SOS est ainsi une sorte de plan, superposant les appels à l’aide postés sur les réseaux sociaux en août 2017 lors de l’ouragan Harvey à la répartition des revenus dans la ville de Houston et ses principales voies de circulation. Dans son interprétation par le quatuor ETHEL, une ligne mélodique urgente est transpercée par des violons dissonants, couvrant la lecture des tweets – comme lors de l’ouragan. Après un crescendo violent, tout revient au calme. Mais les stigmates de la tempête resteront dans notre mémoire.
Ce qui reste quand tout a brûlé
Quittons le vent et l’eau pour nous tourner vers le feu, autre élément aussi bien créateur que ravageur. Depuis 2015, la Californie a vu une succession de feux consumer des centaines de milliers d’hectares de forêts et tuer plus de cent personnes. La faute notamment au climat sec et à des étés très chauds, qui font que la moindre étincelle se transforme vite en incendie incontrôlable.
Le photographe Jeff Frost a passé cinq ans à documenter ces feux, privilégiant la technique du time-lapse (des vidéos qu’ils accélèrent ensuite). Une approche risquée lors d’événements où la direction des flammes peut changer à tout moment, mais qui lui permet de créer des films où tout semble aller très lentement et très vite à la fois.
« Les spectateurs sont obligés d’être attentifs plus longtemps », dit l’artiste. « Ces incendies sont souvent juste un ‘flash’ rapide dans les médias. Ce dont les gens ne se rendent pas compte, c’est que les effets de l’incendie sur la forêt et les personnes durent très longtemps. »
Ce projet documentaire a été présenté en 2019 au Palo Alto Art Center en Californie, un an après les mégafeux de 2018, alors les plus importants jamais enregistrés (ils ont malheureusement été détrônés depuis par les feux de 2020 et 2021). Intitulée Fire Transforms, l’exposition explorait les impacts « dévastateurs et transformateurs du feu ».
Mais la curatrice Rina Faletti voulait voir dans le travail des artistes un message d’espoir : « Comment pouvons-nous apprendre à transformer notre peur, tristesse, perte, colère et confusion en quelque chose de plus réconfortant et clair ? Comment pouvons-nous nous reposer de la fatigue climatique, même face aux pertes réelles et tragiques que les incendies causent à l'échelle mondiale ? Heureusement, nous avons des artistes pour nous aider. »
Photo de couverture : © Jeff Frost