Un festival peut-il mêler dans la joie arts, musique électronique, onirisme et engagement écologique ? La réponse avec notre reportage au festival Château Perché.
Du 6 au 9 juillet dernier, le festival de musiques électroniques et artistiques Château Perché ouvrait ses portes pour quatre jours de parenthèse enchantée. Mélange entre fête berlinoise et patrimoine historique, depuis sa création en 2015 l’événement repousse les limites en matière d’écologie et de féminisme. Considéré comme le plus alternatif des festivals ‘mainstream’, il déploie un univers qui navigue entre décors oniriques, musiques électroniques et militantisme politique.
« Navette 22 ! Par ici ! ». Il est 14h sur le parking près de la Porte d’Orléans à Paris. Lunettes de soleil, sac de randonnée sur le dos et tente sous le bras, près de 250 festivaliers assis sur les bandes d’herbe et de bitume patientent tranquillement. Juste en face, des bus se garent les uns derrière les autres pendant que les chefs de navette préparent la montée à bord. Sous ses airs de colonie de vacances, ce large dispositif a été mis en place par Château Perché afin d’acheminer le maximum de ses festivaliers en transports en commun. Condition clé pour améliorer sa durabilité. « Quand on sait que le transport du public c'est 70% à 80% de l'empreinte carbone d'un festival, on a un levier d'action direct qui permet d’avoir un effet significatif » explique Agathe Breton, chargée de production de l’événement. « On espère que cette part de mobilité sera nettement réduite par rapport à d'autres festivals ». Et ce, malgré les sites reculés sur lesquels le festival a l’habitude de s’installer. Comme son nom l’indique, chaque année l’événement prend ses quartiers dans un château historique destiné à mettre en lumière le patrimoine local. Pour cette 7ème édition, direction le Château de Bazoches en Bourgogne, perché sur sa colline boisée au cœur du parc naturel du Morvan.
Au total, ce sont 54 bus au départ de 9 villes qui ont été déployés pour embarquer près de 50% des festivaliers. Moins que les 75% rêvés, mais un record quand même. « C’est assez exceptionnel pour un festival d’envergure nationale situé en territoire rural. » se réjouit Rudy Guilhem-Ducleon, chargé d’accompagnement développement durable du festival.
Moins d’impact écologique, plus d’impact positif
Cette importante démarche de mobilité complète une série de mesures plus classiques déjà en place depuis plusieurs années. La restauration est 100% végétarienne et la gestion des déchets rigoureusement encadrée. Festivaliers, catering, foodtrucks, scénographes, tout le monde met la main à la pâte. « En quelques années, la production de déchets par personne et par jour a été divisée par deux. Et on attend encore une baisse significative pour cette nouvelle édition » espère Rudy. « D’ailleurs, on a jamais eu un camping aussi propre avec des déchets aussi bien triés ! ».
Même chose en matière de scénographie dont la richesse esthétique et l’extravagance sont pourtant l’une des signatures du festival. Dès leur conception, les collectifs s’engagent à favoriser la récup’ et l’utilisation de matériaux recyclables. Et beaucoup reprennent leur scénographie pour les réemployer plus tard. Autre spécificité, depuis ses débuts, le festival se joue sans tête d'affiche, mettant en scène des artistes aux exigences techniques et matérielles plus simples. « Même si on a de très belles scénos, par rapport à un Kiss qui vient avec 19 semi remorques, c’est incomparable ! » plaisante Agathe. Côté infrastructure, pour la première fois, le site a pu être partiellement raccordé au réseau fixe avec un contrat d’énergie renouvelable permettant de réduire l’utilisation de groupes électrogènes. « Le fait de se raccorder au réseau fixe reste toujours la solution la plus décarbonée » explique Rudy, « en moyenne, un groupe électrogène est 30 fois plus émetteur de GES par kWh consommé ».
Mais au-delà de l’ingénierie et de la logistique, Château Perché, c’est aussi une volonté de s’intégrer de façon éphémère mais harmonieuse aux territoires, afin de valoriser et faire vivre les milieux ruraux où il y a peu d'accès à la culture. À Bazoches, c’est d’ailleurs la première fois qu’on accueille un tel événement. « Nous avons essayé de faire participer un maximum d’acteurs locaux. Nous voulons que les habitant·es se sentent les bienvenu·es, avec une implantation territoriale qui bénéficie au maximum aux communes », témoigne Agathe. Période post-covid oblige, la jauge du festival est aussi revenue à une taille plus humaine. Environ 6500 festivaliers contre près de 10 000 en 2019. Et même si ce n’est pas nécessairement pour cette raison, c’est tout de même une bonne nouvelle pour l’écologie.
« Safe space »
Première journée, 13h. À quelques dizaines de mètres de l’entrée, une foule s’agglutine devant un espace fermé par des palissades recouvertes de bâches. Deux jeunes bénévoles surnommées les Angels gardent l’entrée. L’une d’elles, Larissa, cheveux noirs au carré et grandes boucles d'oreilles, présente le concept : « Ici vous êtes à l’Exploration Village ! Un espace militant féministe dédié à la découverte et l’éducation à la sensualité et la sexualité positive ». Pendant 3 jours, ce lieu atypique à l'abri des regards extérieurs propose des dizaines d’ateliers dédiés au bien-être, à l’exploration de soi et au consentement, dont certains se font en non-mixité. Au programme : Psychedelic breathwork, Sensual Dance, Rencontre avec sa teufeuse intérieure, Shibari, Bodypaint, etc. Mais aussi refuge pour des temps de paroles et de repos. « Une autre façon de faire de la prévention, c'est de faire de l'éducation » explique Jonathan Berthollet, responsable de la prévention du festival et tête pensante de cet espace militant qui s'inscrit dans un féminisme radical intersectionnel « C’est hyper intense mais nous sommes convaincus que toute l'énergie qui est mise dans ce lieu a un impact sur le festival ». Ex-éducateur et figure du monde festivalier, il a ouvert cet endroit il y a deux ans pour offrir un espace d’échanges safe pour les femmes et les minorités, tout en essayant de s'adresser à un public globalement éloigné de ces problématiques. Une brèche radicale bienvenue dont le succès est largement au rendez-vous. Les ateliers affichent complets avec des dizaines de personnes en liste d’attente. « Il y a une curiosité très positive » constate Élie, une autre Angel. « En sortant, les personnes sont hyper reconnaissantes. On reçoit énormément de gratifications, c’est très touchant », confie Jonathan avec émotion. Une initiative qui traduit le premier cheval de bataille du festival, le non-jugement, le consentement et la bienveillance. À l’image de leur devise « Sois ton meilleur humain ». Le public est sensibilisé à chaque instant. À l’achat du billet, dans les mails d'instructions avant le jour J, et même dans les navettes.
À côté de l’Exploration Village, on retrouve aussi les membres de la « Brigade Bienveillante ». Une équipe d’une cinquantaine de personnes affublées de ballons en forme de cœur, chargées de veiller sur le parc en cas de problème. Résultat ? Une atmosphère autorisant une liberté et un lâcher prise qui enchante le public. « Personne ne te regarde, il n’y a aucun jugement, c’est hyper agréable » décrit un groupe de festivalières assis sous les arbres « on se sent complètement safe ici ». « Tout le monde peut être qui il a envie d’être » abonde un autre groupe juste à côté.
Libérés, déguisés !
Des avancées et une organisation qui ne demandent qu’à s’améliorer. Encore imparfaites, et toujours en pleine expérimentation, mais sublimées par l’énergie créative qui se dégage des lieux. À la nuit tombée, le festival dévoile toute sa féerie. Chaque élément s’illumine des décors dont il est paré. Sur les façades du château, des projections de lumières font défiler des tableaux colorés. Mais le clou du spectacle se trouve du côté des festivaliers ! Presque 100% déguisée et illuminée, la foule déambule en formant une marée de lumières dansantes aux quatre coins du parc. « C'est magique, il y a une liberté d'expression et une extravagance qu'on trouve nulle part ailleurs » rapporte Esteban, habitué de Château Perché. Chez les autres festivaliers, l’émerveillement est tout aussi palpable : « C'est fou ! », « Incroyable », « Archi original ». Comme le résume l’un d’entre eux « C’est le parfait mélange entre écologie, convivialité et créativité. Le meilleur moyen de faire avancer la cause ! ». Ici, comme ailleurs, vivons perché·es.