Éco-horreur : qui a peur de la nature ?

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màj en mars 2024
Femme effrayée dans une forêt

Ah, le cinéma d’horreur, ses maisons hantées, ses fantômes revanchards, ses frayeurs qui nous poursuivent jusqu’à tard dans la nuit… Les films de genre ont beaucoup à nous dire sur nos peurs. En particulier sur notre crainte de la nature, de ses dérives, et même de son silence. 

Araignées géantes et autres monstres radioactifs

Le cinéma d’horreur est né en même temps que le cinéma tout court. Dès la fin du 19e siècle, Méliès mettait en scène des rencontres avec le diable (Le Manoir du diable, 1896) ou avec des araignées plus grosses que la normale (Une nuit terrible, 1896). Le genre étant poreux, il n’hésite pas à marier l’effroi avec la comédie, et s’inspire des codes du théâtre de l’époque. 

Dans Une nuit terrible, un homme trouve une araignée sur son lit au milieu de la nuit 

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, les films suscitent la peur en reprenant majoritairement des figures gothiques, de la créature de Frankenstein à Dracula. Puis arrive Godzilla (Gojira en japonais), en 1954. Ce monstre à l’allure de dinosaure bipède est un être marin dérangé par des tests atomiques, et déterminé à tout détruire sur son passage. “L’humanité avait créé la bombe, et maintenant la nature allait se venger de l’humanité”, souligna le producteur du film, Tomoyuki Tanaka. 

Godzilla, 1954

À l’époque, le film rencontre un succès… monstre ! Quant au thème de la créature née de la pollution, il continue d’inspirer les réalisateurs après la fin du vingtième siècle. Dans The Host (2006), Bong Joon-ho (palme d’or à Cannes en 2019 pour Parasite) met en scène une autre créature amphibie monstrueuse. Comment est-elle arrivée là ? Dans le prologue, un médecin militaire américain ordonne à ses assistants coréens de déverser des bouteilles de produits chimiques dans les égouts. La suite, on la devine. 

“L’humanité avait créé la bombe, et maintenant la nature allait se venger de l’humanité”

D’ailleurs, les zombies eux aussi ne pourraient-ils pas être le résultat d’expérimentations humaines qui ont mal tournées ? Dans le prologue de 28 jours plus tard de Danny Boyle (2003), des activistes libèrent des chimpanzés d’un laboratoire. Quand le héros du film, incarné par Cillian Murphy, se réveille 28 jours plus tard, il est l’un des derniers survivants dans Londres dévasté par une mystérieuse épidémie…

Dans 28 days later, des singes, libérés par des militants pour la cause animale, quittent leur labo et libèrent un virus très contagieux

Précurseur, le cinéma d’horreur ? Presque vingt ans après, quand la crise du coronavirus éclate, la théorie de la maladie créée en labo refait surface. La montée des zoonoses (maladies transmises des animaux à l’humain) est bien réelle, tout comme la réduction des espaces sauvages, forçant les contacts animaux-humains. 

La morale (sans spoiler) de ces films ? Quand le monstre est vaincu et la menace écartée, l’humanité triomphe grâce à son intelligence (ou sa violence). Mais bien souvent, la menace continue de planer. Si l’humain continue de polluer, un nouveau monstre pourrait apparaître. Surtout, on en vient à se demander si l’humain lui-même n’est pas plus effrayant que toutes les créatures rencontrées… 

Humains + animaux = danger

Quand le cinéma d’horreur s’empare d’animaux “réels”, il n’y a plus de protection de la nature qui tienne : ils sont là pour nous faire la peau ! Avec son célèbre thriller Les Oiseaux (1963), Alfred Hitchcock imagine une ville attaquée par des oiseaux soudains devenus fous, présentant un attrait particulier pour le visage de l’héroïne. Le film d’épouvante est en partie inspiré d’un fait réel survenu en 1961 en Californie : intoxiqués par une algue, des oiseaux tombaient sur les maisons et “recrachaient des anchois à moitié digérés sur le gazon”. Flippant, mais ils n’ont tué personne, alors que le film a traumatisé des générations de spectateurs.

Les Oiseaux, 1963

La palme de la peur créée de toute pièce par le cinéma revient cependant aux Dents de la Mer (1975) de Steven Spielberg. Sur fond d’une musique iconique, un gigantesque requin croque les vacanciers qui veulent simplement profiter d’une plage (cette fois-ci sur la côte ouest des États-Unis, on n’est tranquille nulle part). Problème : les requins sont loin d’être aussi dangereux que dans le film - ils causent moins de morts chaque année que les selfies. L’auteur du livre qui a inspiré le film a ensuite déclaré qu’il ne l’aurait pas écrit s’il savait comment se comportaient vraiment les requins. Mais le mal était fait. Encore aujourd’hui, les associations ont du mal à convaincre le public de la nécessaire protection des requins blancs. Quand on vous dit que la fiction a sa part de responsabilité, et qu’elle aussi, peut influencer le réel… 

Jaws (1975)

Les humains ont peur de se faire dévorer, donc. Mais une autre peur, plus souterraine et moins spectaculaire, est aussi présente dans le cinéma horrifique : celle de perdre son statut d’humain pour devenir un animal (Cat People, The Fly), ou même parfois pire (The Thing, Annihilation)... Suspense ! 

Nature muette, nature qui inquiète 

Que faire quand la menace est complètement invisible, et même impossible à nommer ? Les étudiants en cinéma mis en scène dans The Blair Witch Project (1999) étaient partis à la recherche d’une sorcière, et ils se retrouvent à errer dans une forêt. Les pensionnaires d’un policé pensionnat australien disparaissent en pleine nature, lors d’un Picnic at Hanging Rock (1975). Un policier japonais doit décider du sort de Charisma (1999), un arbre maléfique qui menacerait de détruire toute la forêt environnante. Dans ces trois films, il ne se passe pas grand chose, en apparence. Plutôt un malaise qui rôde. Et c’est bien ce qui fait peur. On ne sait pas ce que veut la nature qui environne les personnages. On comprend qu’on ne peut pas le comprendre. 

Charisma, Kiyoshi Kurosawa (1999)

Le philosophe et sociologue allemand Harmut Rosa analyse notre époque par le prisme de la résonance. Selon lui, notre rapport à la nature a changé : nous nous voyons comme séparés (et maîtres) d’elle grâce à la technique, tandis que nous craignons en parallèle qu’elle ne devienne muette. S’il n’y a plus de monstre contre lequel se battre, que fait-on ? 

Surtout, on en vient à se demander si l’humain lui-même n’est pas plus effrayant que toutes les créatures rencontrées… 

Impossible de parler cinéma et environnement en 2022 sans évoquer Don’t Look Up. Le film se range plutôt dans la catégorie de la comédie, même si les faits qu’ils évoquent sont loin d’être drôles : des experts tentent d’alerter sur l’impact imminent d’un astéroïde qui file vers la terre, métaphore (critiquée par certains scientifiques) de la crise climatique. Eux aussi sont victimes d’une crise de la résonance : leur message ne porte pas. Depuis, on a vu fleurir les pancartes Look Up aux manifestations contre l’inaction climatique… auxquelles les dirigeants n’ont toujours pas l’air de prêter l’oreille. 

Vive la peur !

Après tout, pourquoi (certains) aiment-ils les films d’horreur ? Pendant deux heures, ils peuvent nous permettre de nous échapper de notre quotidien, en nous mettant face à une peur de l’on maîtrise in fine. Ce n’est pas réel, ça arrive à d’autres… L’autrice de cet article doit l’avouer : regarder des films d’horreur la détend. Penser à la crise climatique, non. 

 S’il n’y a plus de monstre contre lequel se battre, que fait-on ? 

C’est peut-être pour cela que le cinéma horrifique mainstream contemporain ne s’est pas encore emparé du sujet - alors qu’on ne compte plus les films à base de poupées sataniques planquées dans le grenier. Pourtant, selon le critique critique John Kenneth Muir, “si l’horreur n’est pas connectée à la vie de tous les jours… elle ne fait pas peur”. Il serait donc temps que le cinéma explore ce sujet. D’ailleurs, ça commence, notamment avec des films indépendants comme Gaïa (2021), film sud-africain non distribué en France autour d’une entité mystérieuse au cœur de la jungle.

Gaïa, 2021

Dans un article intitulé “Les films d’horreur et le deuil”, les philosophes Becky Millar et Jonny Lee se demandent si le cinéma horrifique peut aider dans le processus de deuil. Ils répondent par l’affirmative, car le cinéma donne sens à des expériences déplaisantes. Par la narration, on remet un peu d’ordre dans un monde fragmenté, détraqué par un événement traumatique. Il s’agit d’une sorte de “safe space”, où l’on est confronté à nos peurs tout en pouvant les contrôler (on peut fermer les yeux, baisser le son ou même quitter la salle). Les films d’horreur évoquent frontalement ce que l’on tente en général d’éviter. Alors, on lance la séance ?  

Renée Zachariou
Renée est autrice et plume freelance. Elle écrit sur la technologie, les esprits et la nature.
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