Fluctuations Festival : un festival itinérant et conscient qui renouvelle les imaginaires du format

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màj en septembre 2024

Le Fluctuations Festival, mais qu'est-ce que c'est ? Ce petit nouveau sur la scène européenne, qui vient de clôturer sa première édition au mois de juillet, promet « un festival fluvial itinérant sur les fleuves d'Europe qui combine musique, citoyenneté et écologie pour catalyser la transition environnementale et sociale. » Nous avons discuté avec sa co-fondatrice, Charline Albericci, des festivals de demain, itinérants, à jauge réduite et prix conscient. Des festivals qui ouvrent les horizons et renouvellent les imaginaires écologiques et culturels.

Comment est née cette idée d’un festival itinérant sur les voies fluviales d’Europe ?

Charline Albericci : C’est en fait une idée assez ancienne, qui remonte à une dizaine d’années, lorsque Nicolas Dhers, mon co-fondateur, a lu la biographie de Manu Chao qui organisait dans les années 80 un festival au large des côtes sud-américaines, où il mêlait concerts musicaux et débats sur l'altermondialisme. Nicolas m’en avait parlé à l’époque, alors que nous travaillions en binôme dans un gros groupe, à la direction de la stratégie… Nous avons finalement décidé de nous lancer plusieurs années après, suite à des changements de gouvernance au sein de cette grosse entreprise où nous étions toujours, et dans laquelle nous nous ne retrouvions plus. Nous étions tous les deux en quête de plus de sens. Nous nous sommes dit que c’était le moment de virer de bord au sens propre !

Mais pourquoi le fluvial ?

C. A. : L’idée du fluvial est venue parce qu’aujourd’hui l’eau est un problème majeur, et que les fleuves, les rivières et les canaux ont été pendant bien trop longtemps considérés comme des frontières, alors que dans notre vision à nous, ils sont plutôt des liants et des ponts entre les différentes cultures, communautés et pays. Nous avons vraiment besoin de faire évoluer notre regard sur les cours d'eau. Nicolas et moi sommes non-parisiens à l’origine, et nous avons donc souffert tous les deux de la centralisation de l’offre culturelle. Pour nous, l’eau pouvait être un vrai vecteur et accélérateur de démocratisation de la culture.

Il y a aussi eu par ailleurs tout un contexte en France, mais en Europe en général, d’ultra-polarisation des opinions, où nous avons l’impression que les opinions sont un peu comme le climat, elles vont vers l’extrême. Nous l'avons vu à nouveau récemment avec les élections législatives en France, globalement c’est là où il y a le moins de culture et d’espaces publics partagés que les opinions sont les plus polarisées. Pour nous, l’eau peut jouer ce rôle de liant et de lien.

Le fluvial c’est hyper modulaire, ça permet d’aller dans des villes, comme nous l’avons fait cet été pour cette première édition, mais ça va permettre aussi, et c’est le but ultime du festival, d’aller dans des zones plus rurales et périurbaines, qui ont moins d'accès à la culture. L’objectif futur du festival, ce serait de mêler les deux. Continuer à visiter les villes que nous avons rejointes cette année, qui sont d'ailleurs souvent des villes secondaires… Nous ne sommes pas passés par Paris, nous ne sommes pas venus à Bruxelles City, mais à Anderlecht, une des communes de la ville de Bruxelles, comme pour Lambersart, une petite ville à côté de Lille, ou Utrecht, qui n’est pas Amsterdam. À termes, nous aimerions organiser des escales sur un format plus simple, plus léger, avec les résident·es à bord dans les zones rurales et périurbaines que l’on traverse. À bord, il y aura des artistes, des expert·es qui, le temps d’une soirée, pourront animer une zone en donnant un concert, une conférence sur la justice sociale, l’art citoyen, le climat, l’eau dans la ville… Sur un format plus léger parce que la péniche permet vraiment de s'amarrer dans tous les endroits dès lors qu’ils sont desservis par un cours d’eau. 

Ça permet aussi de réduire considérablement l’empreinte carbone du festival ?

C. A. : Aujourd’hui, le premier coût carbone du secteur de la culture et du divertissement en général, et des festivals en particulier, c’est le transport des festivaliers et festivalières. J’écoutais justement un reportage sur les JO de Paris, qui expliquait que, pour les éditions précédentes, les stades étaient branchés sur des générateurs diesel, et que, pour celle de Paris, ils ont tous été raccordés au réseau. C’est sûr que ça fait un gain d'énergie, mais le reportage concluait sur le fait que ça ne règle toujours pas le premier problème qui est le déplacement des publics. Pour nous, le fluvial permet d’apporter une réponse non seulement durable mais aussi poétique. Nous essayons toujours de coupler à la fois engagement écologique et nouveaux récits. Nous sommes dans une approche assez holistique, nous pensons qu'aujourd'hui la lutte pour un avenir meilleur doit en faire converger plusieurs. Le fluvial c’est aussi une approche du temps long, un temps dont nous manquons cruellement au quotidien et qui pourtant permet la rencontre, la curiosité de soi et de l’autre.

Et qu'est-ce qui vous plaît particulièrement dans le format du festival ?

C. A. : Selon une étude de l’Union Européenne qui date de 2022, le festival est le moyen le plus puissant pour mobiliser les jeunes. Le festival est festif, et il est une bonne manière pour que des gens qui ne se rencontreraient pas autrement se rencontrent. Le festival, c’est aussi la création d’un espace public éphémère. Nous avons vraiment l’impression que l’espace public s’est restreint ces dernières années, que la voix des citoyen·nes n’a été que très peu entendue… Nous avons donc besoin de créer le plus d'espaces possibles pour que les gens se rencontrent, partagent et se mobilisent ensemble. Le festival, à partir du moment où il mêle la fête et le fond, laisse des traces sur le long terme, c’est une vraie expérience que l’on vit rarement seul·e et qui touche autant l’intellectuel que l’émotionnel et qu'on vit avec tous les sens en éveil.

Raconte-nous un peu les étapes de cette première édition.

Nous nous étions fixé des minimums de 800 participant·es par étape pour cette première édition, et on a finalement fait 1600 à Lambersart, 1200 à Anderlecht et à peu près 1000 à Utrecht, c’est génial ! À chaque escale, il y a ce que nous avons appelé « le village des solutions », un village avec des entreprises, des associations présentes sur le territoire et engagées dans la transition économique, écologique et solidaire qui présentent ce qu’elles font ou organisent des ateliers. Dans chaque ville étape, nous avons aussi toute une communauté de bénévoles, qui sont allés tracter, nous avons tracté avec eux... À Bruxelles, c’était super sympa, les gens que nous avons rencontré nous ont fait goûter des frites, du chocolat (rires) !

Pourquoi cette importance donnée au jeune public avec un espace et une programmation dédiés à chaque étape ?

C. A. : Tout simplement parce que si nous souhaitons un monde plus juste, plus durable et plus inclusif, c'est avant tout pour eux. Nous avons besoin d'avoir de nouvelles générations conscientisées dès le début. Nous avons souvent l’impression que c’est le cas de tous les jeunes, mais c’est loin d’être vrai, il y a beaucoup de jeunes qui n’en ont rien à faire du climat. Nous on se dit que ça commence dès le plus jeune âge, c’est la première raison de cet espace. La deuxième, c’est aussi parce que les adultes se comportent de manière plus responsable quand il y a des enfants autour d’eux. Nous voulions un festival sain et bienveillant. C’était essentiel pour nous et ça s’est vraiment ressenti, les gens étaient à l’aise, c’était à la fois paisible et très festif. Enfin, c’est parce que nous voulons être véritablement un festival destiné à tout le monde. Pour la tranche d'âge entre 30 et 45 ans, souvent avec des enfants en bas âge, s’il n’y pas d’activités pour leurs enfants, ils ne peuvent pas venir. C’était notre proposition de valeur pour nous assurer que tout le monde puisse assister à Fluctuations.

Tu peux nous donner quelques exemples d’activités mises en place pour les plus jeunes ?

C. A. : À Anderlecht, il y avait par exemple l’association Les Petits Débrouillards, une association de conscientisation et d'engagement par les sciences. Ils font plein d'ateliers scientifiques pour faire découvrir aux enfants des enjeux d’actualité. À Fluctuations, leur programmation était surtout centrée sur le thème de l’eau. Il y avait aussi Neo & Nea qui proposaient des fresques en mode quiz pour que le format soit accessible aux enfants sur le climat, l’environnement et la mobilité. Dans les Hauts-de-France, à Lambersart, Arbra Culture a organisé des ateliers de permaculture, de cuisine et de découverte de plantes sauvages.

La tarification à prix conscient, ça fonctionne comment ?

C. A. : Pour nous, c’est l’un des leviers fondamentaux pour que le festival soit le plus accessible possible. En ligne, sur la billetterie, les gens pouvaient prendre des billets de 0 à 39€. Et à l’accueil du festival sur place, nous réexpliquions à chaque nouveau venu le concept de Fluctuations et ce que voulait dire la tarification consciente. La manière dont c'est reçu par le public va dépendre de la modération mise en place. Quand tu expliques aux gens que nous,· pour être à l’équilibre, nous visons en moyenne 15€ par personne, que s’ils donnent plus c’est génialissime, que s’ils donnent moins ils·elles sont les bienvenu·es quand même, ça change beaucoup les choses. Je ne sais pas encore si nous allons le refaire l’année prochaine, mais la question de garder des billets à des prix abordables est essentielle dans l’idée de proposer un festival inclusif. 

Qu’en est-il de la taille du festival ?

C. A. : Fluctuations est un festival à jauge maîtrisée et limitée, pour lequel nous nous inspirons du rapport Décarbonons la culture, du Shift Project. Ce rapport explique que les deux plus gros leviers pour baisser le bilan carbone d’un festival sont le transport des festivaliers et festivalières et la limitation de la jauge. Nous nous refusons à cette course au gigantisme qui consiste à augmenter chaque année la jauge du public au profit de la rentabilité. Nous souhaitons explorer un mode de croissance alternative, où nous multiplions le nombre d’escales de taille intermédiaire. L’idée, c’est de ne pas dépasser quelques milliers de personnes à chaque escale. Cette année, justement, plusieurs personnes nous ont dit : « C’est génial, j’ai l’impression d’être dans un festival confidentiel ! » 

Comment être un festival à impact avec une jauge réduite ?

C. A. : L’objectif pour la suite c’est d’augmenter un peu la taille en effet, mais en restant toujours dans une jauge très raisonnable. Avec cette jauge limitée, nous resterons principalement un festival d’émergence ou avec des stars véritablement engagées qui croient dans le projet. C’est comme ça que nous avons eu le musicien Guts cette année, qui fait plus d’un million d’écoutes mensuelles sur Spotify, parce qu’il est à fond dans le projet. Pareil pour l’activiste Adélaïde Charlier. Il y avait peut-être d’autres festivals plus gros en parallèle mais pour elle, être dans un festival à taille humaine, où à la fin des conférences il y a des tonnes de questions, c’est plus puissant. À Lambersart, pour la dernière conférence le dimanche après-midi, il y avait 95 personnes. Et c’est souvent nous qui devions mettre fin aux séances de questions tellement il y en avait ! C’est uniquement avec un festival à taille raisonnable qu’on peut avoir ce rapport de proximité et donc un impact plus fort.

Comme nous chez Carbo Média, vous êtes convaincus du pouvoir des récits et des imaginaires, tu peux nous en parler en lien avec Fluctuations ?

C. A. : Le cœur du festival, c’est de mêler la fête et le fond, la sensibilisation à la sensibilité. En anglais, nous aimons bien dire qu’en même temps qu’on ‘move’ (déplace) les gens, nous voulons qu’ils soient ‘moved’ (émus). Dans le mot émotion, il y a motion, cette idée de mouvement. Nous sommes persuadé·es que pour porter des causes urgentes et graves, nous avons besoin de passer d’abord par le cœur. Ces dernières années, ce sont vraiment les émotions et les ressentis des citoyens et citoyennes qui ont été écartés, voire dédaignés en politique. Alors qu’à partir du moment où il y a un ressenti, il faut le traiter, l’adresser, savoir lui parler et l’écouter, et surtout y apporter des réponses. Et si nous y apportons des réponses positives et de nouvelles visions, nous pouvons fédérer largement. Après c’est notre travail à nous de faire en sorte que le festival soit vraiment aligné avec les valeurs qu’il porte pour que ça touche vraiment les gens, par exemple avec une line-up paritaire autant pour les artistes que pour les intervenant·es et avec une implantation le plus possible dans les quartiers prioritaires des villes, comme à Anderlecht ou dans les zones plus rurales à terme. Nous sommes convaincu·es que c’est en étant plus aligné avec les valeurs que nous portons que nous serons aussi plus légitimes.

Plus globalement, comment, selon vous, donner envie aux gens de s’engager ?

C. A. : À nos yeux, on ne mobilise pas les gens contre quelque chose. Au contraire, on a besoin de mobiliser les gens pour quelque chose, et c’est beaucoup plus simple alors de se motiver ensemble. Pour ça, nous avons besoin de nouveaux récits et de nouvelles visions du monde, loin des mauvaises nouvelles qui s'accumulent quotidiennement. C’est ce qui nous manque cruellement aujourd’hui. Inspirés par nos lectures et cette vision commune des enjeux actuels, nous avons voulu avec Nicolas mettre au point des festivals à l’image de la société que nous appelons de nos vœux : plus juste, plus durable et plus inclusive !

Pour vous, cette nouvelle culture de festival itinérant, à jauge réduite, peut-elle devenir la norme ?

C. A. : Je l'espère en tout cas, et j’espère aussi que ça va être le choix de plus en plus de monde. Pour les non habitués, cela peut être une bonne entrée en matière, se dire « En fait un festival ça peut ressembler à ça, ça être accessible, durable et à proximité de chez moi ». Pour les habitués des festivals, l’idée est plutôt de les interroger sur leurs choix culturels. Nous ne remettons pas du tout en question l’objet festival, ce que nous remettons en question c'est la manière dont nous faisons festival ensemble, en essayant d’être le plus exemplaire possible et en amélioration continue. Nous allons d'ailleurs sonder les artistes et les bénévoles sur ce qu'ils ont vécu cette année pour imaginer des pistes d’amélioration.

Justement, quel premier bilan dressez-vous de cette édition de lancement ?

C. A. : Avec Nicolas, nous sommes très contents du déroulé de cette première édition, c’est au-delà de ce que nous espérions en termes de fréquentation, d’enthousiasme et de retours ! Il y a évidemment des choses à peaufiner sur le concept, des choses que nous aurions voulu mieux faire mais que nous n'avons pas pu faire suffisamment pour le moment car nous sommes encore une toute petite équipe.

Cette année, nous avons monté le festival et ses différentes dates en neuf mois, c’est très court avec la recherche de financements et de partenaires à mener en parallèle. Pour l’année prochaine, nous voulons anticiper davantage pour faire en sorte d’être mieux implanté et maillé localement et territorialement pour assurer au mieux ce rôle du festival de courroie de transmission entre la représentation et la participation.

Mais nous sommes ravi·es d’avoir vu des amitiés naître parmi les bénévoles, de belles scènes de liesse, de danse et de joie collective, de rires pendant les conférences, de questions qui ne s’arrêtaient plus, des intervenant·es hyper sollicités après leur table-ronde par des festivaliers qui débordaient de questions. Des gens des stands qui, d’une étape à l’autre, nous disaient que finalement ils·elles nous rejoignaient le week-end suivant en tant que bénévoles. De personnes, aussi, qui à la fin du festival nous ont dit qu'ils ne venaient plus trop à des festivals ces dernières années parce qu'ils se sentaient mal, trop oppressés par la foule, ou que c'était trop cher, trop loin pour eux... Et que là, ça avait été hyper simple pour elleux de venir à Fluctuations. Des belges qui nous ont dit : « Je n’en reviens pas, Guts à Anderlecht ! »

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

C. A. : Notre rêve est d’être en 2028 le plus gros festival d’Europe à impact, non pas parce qu'on aura fait un festival qui réunit 100 000 personnes sur deux jours, mais parce qu'on aura fait plein d’étapes partout en Europe, en connectant et en reliant toujours mieux entre elleux les citoyens et citoyennes européennes, en faisant évoluer le regard sur l’eau pour montrer la mixité d’usages du fluvial, pas seulement commercial mais aussi poétique et culturel. Alors, peut-être d’arriver à emmener le plus de personnes possible avec nous dans ce rêve-là et qu’il se concrétise !

Pour suivre la suite des aventures du festival Fluctuations, c'est par ici. La dernière étape du festival pour cette année 2024 aura lieu le 14 septembre à Budapest, au bord du Danube.

Les photos de l'article sont de @photocostier et @christinegarand.

Juliette Mantelet
Juliette est journaliste et co-rédactrice en chef. Ce qui l'enthousiasme par-dessus tout, c'est d'explorer le monde qui change et les futurs possibles avec optimisme par le biais de la littérature et de la pop culture.
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