Nos grands-parents le connaissent tous. De 1975 à 1983, le dessinateur Jean-Michel Folon a accompagné la journée de millions de Français, avec son générique culte de début et fin de programme sur la chaîne Antenne 2, où des hommes oiseaux s’envolaient vers le ciel. Très engagé, l’artiste belge disparu en 2005 a été précurseur du combat pour l’environnement, à une époque où les écolos étaient vus comme de gentils hippies. À l’occasion d’une exposition sur son œuvre près de Besançon, à la Saline Royale d’Arc-et-Senan, lumière sur ce rêveur méconnu du jeune public avec la conservatrice de la Fondation Folon en Belgique, Isabelle Douillet-de-Pange.
Pour les jeunes générations qui ne connaissent pas Folon, comment le présenter ?
Isabelle Douillet-de-Pange : C’est un artiste qui a eu un succès colossal de son vivant. Au départ, il a travaillé comme affichiste, dessinateur de presse, plutôt sur des dessins d'humour avec une pointe de désespérance. Il a beaucoup collaboré avec le magazine américain The New Yorker et ses fameuses couvertures. On peut dire qu’il a eu plusieurs carrières. Il a aussi été photographe, sculpteur. À partir de 1974, quand il a vraiment du succès, il arrête tout son travail publicitaire. Les seules affiches qu'il fait sont celles de projets auxquels il croit, pour des livres et de grands combats comme la peine de mort avec Robert Badinter. Il se méfie de la pub mais il estime qu'il n'y a pas mille manières de se battre contre la peine de mort. Il faut des images fortes, qui puissent parler à tout le monde.
Folon était un artiste particulièrement engagé dans plusieurs domaines. Est-ce juste de le qualifier d'artiste écolo ?
I. D-d-P. : Dans les années 70, on n'employait pas le terme d’écologie comme aujourd’hui mais avec la défense des droits de l'Homme, l'attention à l'environnement a certainement été le plus grand moteur de Folon. On le voit dans ses interviews, c'est lui qui amène le sujet de l'écologie, pas les journalistes. Rétrospectivement, on se rend compte que beaucoup d'artistes de cette époque pourraient être qualifiés de militants. C’était la génération des babas. D’ailleurs, Folon dira souvent qu'il était attiré par ces communautés où l’écologie était très intuitive. Dans ses œuvres, il dénonce l’univers urbain qu'il trouve extrêmement oppressant, en manque de sens. On retrouve ainsi, avec cinquante ans d'avance, beaucoup de constats actuels, comme la pollution sonore ou visuelle.
Quelle œuvre représente le mieux son travail autour de l'environnement dans l’exposition présentée à la Saline ?
I. D-d-P. : L’aquarelle L’arbre qui pense me touche particulièrement. Il s’agit d’un arbre avec un creux au milieu des branches, formant un soleil. Folon est persuadé de l'intelligence du vivant et cela transparaît très bien dans cette œuvre de 1971. Elle résume aussi toute la singularité de son travail à travers sa simplicité. Folon épure son trait au maximum et c’est là qu’il est extrêmement fort. Il voulait parler au plus grand nombre. Au cours de sa carrière, il n’a jamais changé d’un iota ses valeurs, malgré toutes les critiques qu’on a pu lui faire. On lui reprochait d'être "trop simple”. Le simple, c’est un élagage. Or, élaguer son œuvre jusqu'à arriver à quelque chose, que je qualifierais "d’archétypal", est en réalité extrêmement complexe. Folon avait également une faculté analogique redoutable. Avec deux signes, il était capable d’en faire un troisième, porteur de son propre sens. Par exemple, dans L'arbre qui pense, on a d’un côté l’arbre, de l’autre le soleil. Que se passe-t-il si l’on mêle les deux ? On crée une troisième entité éminemment signifiante. En décodant la méthode Folon, on voit l’intelligence qu’il met au service et de son art.
Pourquoi montrer et parler de Folon de nos jours ?
I. D-d-P. : Un point de contexte, pour ma génération - j’ai une cinquantaine d'années - il y a eu du dégât, on a trop vu Folon en quelque sorte ! Son image était usée, il a fallu le sortir du purgatoire comme beaucoup d'artistes qui ont connu la notoriété de leur vivant. Cela est en train de se passer, peut-être pour deux raisons. On trouve chez Folon un côté vintage qui le rend à la mode, notamment auprès des jeunes, de plus en plus nombreux dans son musée en Belgique, dont je dirige les collections. Il y a également dans l’illustration mondiale un regain d’intérêt pour une imagerie poétique mais pas mièvre. Folon a toujours proclamé la puissance de la poésie et la force de la douceur. Je vais vous raconter une anecdote. En Belgique, à la Fondation Folon, je vois beaucoup de gens terminer leur visite en écrasant une larme. J’ai travaillé dans d’autres musées, je n’ai jamais vu personne sortir en pleurant. Le travail de Folon touche nos émotions.
En France, l’exposition à la Saline se termine le 19 novembre 2023, où pourra-t-on le voir dans les prochains mois ?
I. D-d-P. : Déjà en traversant la frontière, pour découvrir notre très beau musée à 30 kilomètres de la capitale belge ! On prépare également une grande manifestation : Folon, a journey in Brussels. Folon était Bruxellois. On va confronter l’artiste à des personnalités locales, dont Magritte, évidemment. Folon l’adorait. Même si 36 ans les séparent, il était à mon avis impossible, pour un jeune bruxellois, d'échapper à l'influence du surréalisme. En Belgique, on naît dedans, le seul fait de naître Belge est déjà surréaliste en soi ! Beaucoup de motifs de Magritte se retrouvent chez Folon, mais lui va les traiter de manière différente. Par exemple, là où Magritte fait un personnage avec un costume trois pièces et un chapeau melon, Folon va aller vers un personnage plus épuré. Il y aura également une exposition dans l'une des premières maisons du maître de l'art nouveau bruxellois, Victor Horta. Folon a réalisé énormément d'œuvres issues de la "récup", où il touche à nouveau à l’écologie. On montrera ces objets déclassés auxquels il redonne vie. Si l'on ajoute les évènements au musée Magritte, au Design museum, à l'Atomium et le parcours de sculptures dans le centre ville, on peut dire que de février à septembre 2024, Bruxelles va vivre au rythme de Folon !
Autour de Folon :
- 14 novembre 2023 : Folon, documentaire de Gaëtan Saint-Remy, Belgique, 2022, au Forum des images à Paris, à 18.00, en présence du réalisateur.
- Jusqu’au 19 novembre 2023 : Le monde de Folon, exposition à la Saline royale d'Arc-et-Senans, dans le Doubs près de Besançon.
- Du 21 février au 29 septembre 2024 : Folon, a journey in Brussels, en partenariat avec de grandes institutions bruxelloises, la Fondation Folon porte une série d'événements et d’expositions autour de son art et de son univers, qui jalonneront la ville de Bruxelles pendant huit mois.
- Toute l’année : La Fondation Folon, musée dans la ferme du Château de La Hulpe en Belgique, à 30 kilomètres de Bruxelles.
Crédits de la photo de couverture : Folon, extrait du générique d'Antenne 2, 1975 © Fondation Folon/Adagp, 2023