Marine Le Breton dessine le littoral à la main

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màj en septembre 2024

Elle s’est fait un nom parmi les passionné·es de cartes et du littoral, aujourd’hui le grand public la découvre via sa page Instagram où elle partage et vend ses œuvres. Marine Le Breton porte ce que l’on appelle un aptonyme. Son nom ne pouvait mieux raconter la vie de cette anglo-normande amoureuse de la Bretagne qui a tout plaqué en 2020 pour devenir dessinatrice de cartes à la main. Une activité entre art, poésie, données IGN, montée des eaux et réflexions sur notre époque. Entretien. 

L'île Louët en baie de Morlaix, Finistère © Marine Le Breton

Pour celleux qui ne vous connaissent pas, comment souhaitez-vous vous présenter ? 

Marine Le Breton : J’estime qu’on utilise pas le mot artiste pour se définir soi-même. On pourrait simplement dire dessinatrice de cartes, je n’ai pas fait d’études de cartographie. Ce qui compte à mes yeux est de dessiner et rencontrer des gens. Avant j’étais graphiste muséographe dans le culturel et l'institutionnel en tant que freelance. Il y avait beaucoup de pression, j’ai eu la chance de m’en extraire. Au début je dessinais en noir, mais on prenait mes créations pour des gravures. Je suis donc passée au bleu, cette couleur respecte bien les densités. J’utilise une pointe fine, je voulais un outil facile à utiliser, d’où le stylo, pointe 04. 

Qu’est-ce qui vous intéresse dans le dessin du littoral français ? 

M. L. B. : Dans Cartes Marines, Poésie du littoral français en 130 cartes, j’ai dessiné près de l’intégralité de nos côtes mais ma préférence va à la Bretagne. Ce que je trouve intéressant dans ce littoral c'est sa découpe. J’aime ses morcellements, ses méandres, j’assimile cela à des boyaux, des schémas d’organes. Si l’on prend la côte des Landes en comparaison - ce n’est pas une critique -, pour la travailler avec autant de motivation il faudrait réaliser d’énormes zooms afin d’aller chercher les aspérités, là où l'œil va se perdre. 

© Marine Le Breton, Poésie du littoral français en 130 cartes

Vous naviguez entre art et données scientifiques. À quel point vos cartes sont-elles fidèles à une réalité géographique ? 

M. L. B. : J’ai réalisé mon projet de fin d’études sur George Perec. Ce qui m’a toujours plu chez lui, c'est le fait qu’on le présentait en mathématicien du langage. Or c’était également une incroyable figure de la littérature française. De manière générale je n’aime pas trop les ghettos, les groupes fermés, je préfère la porosité. Dans mon travail, par exemple, je me contrains à prendre les éléments du SHOM (Service hydrographique et océanographique de la Marine) et de l’IGN (Institut national de l'information géographique et forestière), en m’autorisant ensuite des pas de côté. Les cartographes ont toujours fait des erreurs, de tout temps ! La copie les engendre. Je m’autorise aussi le cadrage dont j’ai envie. Je peux couper une île. Par exemple, j’ai fait un dessin de la Presqu’île de Quiberon où j’ai mis cette terre dans un coin, à droite, ce qui en fait une carte avec 70% de surface d’océan. Un ami l’appelle « la carte à flotte ». Belle-île est également tronquée. Lorsqu’ils la regardent, les gens me disent souvent « Je ne vais pas l’acheter parce que Belle-île est coupée et Quiberon est reléguée à la marge ». Je trouve cela très drôle. 

Votre lien avec les habitant·es des côtes que vous dessinez semble important. Comment nourrit-il votre trait ? 

M. L. B. : Même si mon travail n’est pas de la cartographie sensible, j’insiste sur ce point, lorsque je vais dans un lieu, j’ai des échanges qui nourrissent la carte. C’est pour cette raison que j’essaie de multiplier les résidences artistiques. L’idée est de créer du lien. Par exemple au Havre, où j’étais en résidence pendant 12 jours, la carte dessinée porte plusieurs empreintes des Havrais. En découvrant mon travail, ils disaient « Vous n’avez pas mis Le Bout du Monde ! », je répondais « Ce n’est pas sur les cartes existantes. Et d’abord Le Bout du monde, qu’est-ce ? », « L’endroit où l’on prend l'apéro en regardant le soleil se coucher », « Super mais c’est peut-être anecdotique, je ne vais pas le mettre », puis comme dix personnes me répétaient la même chose ; j’ai fini par l’ajouter. C’était important pour eux. Écouter les gens parler de leur territoire, c’est comme apprendre une langue étrangère. Je souhaite de la porosité entre leurs récits et la carte. 

Passer de graphiste muséographe à dessinatrice était-ce une démarche militante ? 

M. L. B. : C’était l’idée d’un ras le bol de cette profession où j’étais pressurisée. Je me revois marcher sur le sentier côtier, regarder le littoral et repenser à toutes ces cartes anciennes qui font partie du patrimoine historique. Je me suis dit que plus personne ne dessinait à la main les traits de côte et que j’avais envie de ce côté manuel, loin des logiciels. Comme l’a dit une journaliste de France 3 Bretagne, les cartes ont été « le premier jour du reste de ma vie. » J’ai voulu me soustraire au monde et paradoxalement ces cartes m’ont fait rencontrer des personnes, beaucoup de scientifiques, que je n’aurais jamais croisé·es autrement et qui ont donné lieu à des prises de consciences en cascade. J’apprends plein de choses ; la montée des eaux, le trait de côte qui s’érode... Et quid du respect des personnes autochtones dans les Outre-mers ? Toutes ces informations que je glane, je les remouline et les vulgarise - avec des mots peut-être maladroits ! - lors de rencontres autour des cartes. Avec les cartes, on peut parler de plein de choses.

Que ressentez-vous en voyant la frontière mer-terre s’effriter sous votre regard singulier ? 

M. L. B. : Ce trait de côte qui bouge, malmené, rend mes cartes éphémères. C'est une goutte d’eau témoignage dans un océan d'incertitudes. En un sens, je suis contente que la mer reprenne ses droits, on a essayé de la barricader, ce n'est pas dans l’ordre des choses. Ce qui est inquiétant, c'est de ne pas avoir conscience de ce mouvement.

Je pense qu’il existe des territoires consommés et d’autres habités et je ne supporte plus les territoires consommés. Je vis près de la Rochelle, cette région est prise d’assaut par des personnes qui achètent des maisons en bord de mer non par amour du territoire mais par confort. Dans mon village, le maire est en plein déni ; les gens viennent pour construire des piscines et rouler dans des grosses voitures à tout bout de champ, les promoteurs continuent de bâtir alors que le niveau de la mer va bientôt être décrété au-dessus de nous. Je pense qu’il y a beaucoup de surconsommation des territoires, cela me touche. Mais à travers mon travail, j’ai énormément de chance, je côtoie des gens passionnés, contents que l’on parle de chez eux. Le territoire est un petit prolongement de soi. 

Marine Le Breton © Antoine Campo

Infos pratiques : 

  • Elle poste certaines créations sur son compte Instagram. Pour acheter ses cartes, rendez-vous sur son site.

© Photo couverture : Marie Monteiro

Alexia Luquet
Journaliste et réalisatrice vidéo, Alexia couvre des sujets au croisement de la culture, du sociétal et de la planète.
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