C’est l’un des albums jeunesse à ne pas rater cet automne : avec Iddù, la maison d'édition du média féministe La Déferlante, signe un conte aussi vif qu’onirique.
L’enfant Dodù mène une vie paisible sur l’île où chantonne le volcan Iddù. Mais certain·es habitant·es souffrent d’insomnie et le désignent comme coupable. Une nuit, ils tentent alors de l’éteindre en versant un produit dans son cratère… L’enfant Dodù et les femmes qui l’élèvent doivent alors faire face à une catastrophe et comprendre comment sauver l’île, ses habitant·es et Iddù.
Attention, lire Iddù n’est pas sans risque. Notamment si vous sortez cet album dans le métro, il se peut qu’une enfant ouvre des yeux ébahis et échappe à ses parents pour venir effleurer la couverture et tenter d’apercevoir ce qui se trame entre ses pages. Et qui pourrait la blâmer ? Car tant par ses encres chatoyantes que par son écriture poétique, difficile d’échapper à la tentation de dévorer cet ouvrage. On apprécie le soin apporté par Camille Bouvot-Duval, autrice à la plume musicale, et Léa Djeziri, dont les peintures et encres aquarelles nous font vivre l'île d’Iddù comme si nous y étions. Leurs talents réunis forment un conte écoféministe réussi, alors que la demande d'œuvres engagées se fait de plus en plus sentir dans les rayons de littérature jeunesse.
Les enfants feront l’avenir
Dès la première page, le caractère queer et féministe du récit s’esquisse : Dodù n’est jamais genré·e, chacun·e est donc libre de se projeter dans son expérience. L’enfant est élevé·e librement par quatre femmes : l'Agricultrice, la Cheffe, la Voyante et la Tatoueuse, reprenant littéralement l’expression « It takes a village » pour éduquer un enfant. Ces femmes sont dessinées dans toute leur individualité, sans forcément correspondre à des idéaux hétéronormés. Des représentations qui ne sont pas le sujet de l’histoire, mais qu’on relève néanmoins tant elles sont – trop – rares. Cette normalité sans entrave apporte une joie et, franchement, un soulagement à la lecture.
L’agentivité des femmes et des enfants est au cœur du récit. Notamment lorsque Iddù explose et qu’il faut gérer l’évacuation de la ville menée par la Tatoueuse, tandis que Dodù et les autres femmes filent au sommet du volcan pour tenter de l’apaiser. C’est là que, face à la détresse des adultes, notamment la Voyante effondrée face à la douloureuse catastrophe, Dodù laisse parler son cœur et compose une comptine pour qu’Iddù se rendorme. Iddù célèbre le fait que les enfants voient le monde par leur propre prisme. Notamment dans le rapport de Dodù au volcan : pour l’enfant, c’est un ami qui lui permet de ne pas avoir peur du noir et de bien dormir, pour les adultes stressé·es, c’est la cause de leurs insomnies.
Une question de collaboration
D’ailleurs, la couleur de la peau de l’enfant est la même que celle de la lave du volcan. C’est là le message central de l’album : humain·es et nature sont connecté·es, dépendant·es. Un discours sublimement illustré par les encres fluides de Léa Djeziri, qui créent constamment des échos entre les personnes, les animaux et les végétaux, mais qui est aussi concrètement expliqué dans le récit. Effectivement, les légumes de l’Agricultrice proviennent des flancs foisonnants du volcan et sont ensuite cuisinés par la Cheffe, les murs des maisons sont en pierre volcanique…
Ainsi, quand l’équilibre est rompu par la milice de NUIT qui déverse un produit chimique dans le cratère pour endormir Iddù, le volcan prend peur et se réveille pour de bon, dévastant la ville. Il faut que les milicien·nes réalisent leur erreur et l’intervention d’un enfant pour l’apaiser. Un message technocritique qui nous permet d’ailleurs de percevoir l’environnement loin des dualités habituelles de contes jeunesse. La nature n’est ni un lieu terrifiant et rempli de monstres où l’on va se perdre, ni un fantasme intouché et magique. Bien sûr, plusieurs artistes ont déjà exploré cette complexité – comme Claude Ponti dont nous analysons l'œuvre ici – mais un rappel ne fait jamais de mal.
Comme le gâteau à la tomate de la Cheffe dont Dodù raffole, Iddù est un délice pour les jeunes et les moins jeunes. On regrette une chose : qu’il ne soit pas plus long. La question de la milice de NUIT, qui illustre la volonté des humain·es de dominer la nature, est évacuée un peu trop facilement, ainsi que la solution de la comptine de Dodù. La rapidité de cette conclusion sera sûrement reçue selon la personnalité de chaque enfant, et est de toute façon compensée par la complexité des illustrations qui invitent à se perdre et à les contempler pendant des heures. On espère que cet album passera entre de nombreuses mains, ainsi que son message encore trop peu appliqué : la nature n’est ni bonne ni mauvaise, elle réagit à ce que nous lui faisons.
Iddù, Camille Bouvot-Duval et Léa Djeziri, La Déferlante Éditions, 48 pages, 19,90€