Top Chef : l'écologie en toque ?

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màj en mars 2024

Des épreuves “zéro déchet”, un épisode au Ministère de la transition écologique, le recrutement de Chefs détenteurs d’une étoile verte… Depuis quelques saisons, le programme culte de la chaîne M6 semble vouloir prendre un tournant plus écolo. Mais entre “éco-gestes” culinaires et assiettes “engagées”, l’écologie made in Top Chef va devoir encore peaufiner sa recette pour combler les attentes en la matière. 

Avec 12 ans d’existence, 174 épisodes et des millions de téléspectateurs au compteur, Top Chef a su s’imposer au fil des années comme un rendez-vous télévisuel incontournable dans les foyers. En 2019, une étude d’Opinionway révélait que le programme aurait même contribué, avec les autres émissions culinaires (Master Chef, Le meilleur pâtissier…), à améliorer les habitudes des Français en cuisine. Alors quand la quatrième émission favorite du public décide d'ajouter son grain de sel à la lutte contre le dérèglement climatique, on ne peut que se réjouir. 

En 2020, le programme annonce une saison 11 placée sous le signe de l’audace et de “l’éco-responsabilité”. Au programme : une épreuve zéro-déchet, un défi anti-gaspi et le remplacement des gobelets en plastique des équipes par des tasses en aluminium. Pas vraiment une révolution, mais attendons la suite. 

De la viande, du poisson… oui, mais en entier !

Parmi les mantras éco-responsables mis en avant régulièrement par l’émission, on trouve ainsi celui de cuisiner un produit “dans son entièreté” en valorisant une cuisine “zéro déchet”.  Premier problème : dans beaucoup des épreuves, les mets cuisinés en entier... sont des viandes ou des poissons. Saison 11 : dans le port de la Rochelle, les candidats doivent cuisiner un poisson "de la tête à la queue”. Saison 12 : le candidat franc-comtois Matthias "s'engage" en cuisinant un agneau de lait “en entier”. Saison 13 : Louise, grande gagnante de la saison, impressionne les inspecteurs du Guide Michelin en rendant un plat zéro déchet… à base de lotte. On en oublierait presque que les produits issus de l’élevage ne sont pas exactement des exemples en matière d’éco-responsabilité (émissions de gaz à effet de serre, déforestation, extinction des espèces, ravages des écosystèmes marins, etc.). L'agneau, cuisiné par Matthias, fait partie des viandes les plus nocives pour l’environnement. Et ceux qui le font remarquer, ce ne sont pas les Chefs, mais les téléspectateurs

meme instagram top chef

Dénoncer les catastrophes… une catastrophe !

En 2021, le programme annonce son premier épisode consacré à la défense de l’environnement. La production met les petits plats dans les grands, et organise un tournage en grande pompe au ministère de la Transition écologique, en présence de la ministre de l’époque en personne, Barbara Pompili. Une bonne occasion de challenger les candidats sur des contraintes culinaires qui s’inscrivent au cœur de l’urgence écologique ? Pas vraiment.

Le défi se limite à élaborer "un plat visuellement choquant avec un message fort sur l'écologie". L’une des techniques favorites de l’émission pour afficher ses engagements : l'assiette à message ! La consigne est décevante, et les réponses tout autant. Sur six plats préparés, un seul candidat adopte une approche écologique cohérente en dénonçant la surpêche grâce à un sashimi de légumes (merci Baptiste !). Pour le reste, aucun plat végétarien ni vegan, ce qui, dans une telle épreuve, aurait pu incarner un parti pris intéressant, pour ne pas dire essentiel. En outre, l’écologie n’inspire pas. Trois autres s’attaquent maladroitement à la pollution des eaux - dont deux aux marées noires - à grand renfort d’encre de seiche, de poissons et de crustacés. Mais le comble reste sûrement la désignation du plat gagnant : le “cabillaud mazouté”. Sans aucune remarque sur le fait que le cabillaud n’est autre… qu’une espèce en voie de disparition. 

cabillaud mazouté top chef
Le cabillaud mazouté © Top Chef

Pendant que sur le plateau, personne ne lève un sourcil, la toile s’enflamme et fustige l’incohérence des candidats et de l’émission. Le lendemain, même l’association de protection des océans Sea Shepherd fait part de son indignation et interpelle : “À quand une réelle prise de conscience de la part des émissions culinaires, des grands chefs étoilés et du Ministère de l’environnement ?”. Manque de conscience ou grande méconnaissance ? La question reste entière (comme le poisson ?).

Vous avez dit local ?

Autre ingrédient qui n'était pas indispensable à cette drôle de gabegie : le garde-manger. Tout part de cette caverne d’Ali Baba mise à la disposition des candidats pour leurs épreuves, mais jamais personne ne s’interroge sur les aliments qui s’y trouvent : ni leur nature, ni leur provenance, ni leur mode de production, ni leur saisonnalité. Tout est là, à profusion, comme par magie. Même si la production assure que rien n’est gaspillé, cette réserve sans limite n’implique aucune remise en question des choix et des pratiques en cuisine. Au contraire : c’est ainsi qu’un candidat se retrouve à cuisiner du gibier pour dénoncer le braconnage (“Parce que je n'avais que ça” tentait-il de se justifier), et qu’une candidate finit par cuire de l’avocat (fruit connu pour ses désastres sur l’environnement) dans du compost, pour composer une assiette “écolo”. 

Mais il n'y a pas que le contenu du garde-manger qui vient de loin. Chaque saison, les grands chefs - plus d'une dizaine lors de la dernière - débarquent des quatre coins du monde pour défier les candidats de l'émission. À l'inverse, le projecteur ne se braque pour ainsi dire jamais sur les agriculteurs·trices et producteurs·trices qui s'engagent. Ni sur les participants de l'émission qui essaient de faire bouger les lignes, comme Glenn Viel, le dernier arrivé dans le jury de l’émission, ou Chloé Charles et Thibaut Spiwack, dont l'étoile verte et les engagement sont tout juste mentionnés.

Encore un effort…

Désormais, ces faux-pas ne semblent plus passer inaperçus. Qui sait, demain, à force d’encaisser les reproches, les responsables de l’émission finiront peut-être par s’intéresser plus sérieusement à ces questions. Ils réaliseront alors peut-être que l’écologie est un vivier de nouvelles contraintes pour challenger les candidats, et qu’elle représente un terrain de jeu idéal, tant pour les cuisiniers créatifs que pour les spectateurs assoiffés de recettes alternative. À quand une course aux recettes végétales inédites ? Une épreuve interdisant les espèces menacées d’extinction ? Des plats uniquement à base d’aliments de saison ? Des assiettes 100% circuits courts, dans un rayon limité autour des studios ? Une cuisine sans cuisson, ou au four solaire ? Voilà certainement le véritable défi pour un concours qui défend tour à tour « l’audace », « l’excellence » ou « la créativité sans limite ». Parce qu’après tout, qui de mieux que Top Chef pour nous épater même sous la contrainte, et bousculer les imaginaires à la télé ? 

Christelle Gilabert
Christelle est journaliste indépendante, elle scrute à la loupe tout ce qui touche à l'écologie, non sans un regard critique sur les technologies, et toujours accompagnée d'une pointe de féminisme.
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