Patience, soin et observation du cycle du vivant : de plus en plus d'artistes opèrent un véritable « retour à la Terre » en allant chercher directement dans la nature la matière première de leur production artistique. Végétaux, terre, charbon, pollen, racines, et même mycélium, champignons, algues et agar-agar : panorama de 14 artistes aux œuvres bio-sourcées.
Nils Udo : Des végétaux en tapis colorés
Nils Udo (né en 1937, Allemagne) voue un immense respect à la diversité du monde végétal. À partir de végétaux issus de collectes, il compose avec soin, dans des milieux naturels, des formes géométriques et des tapis colorés.
Wolfgang Laib : Le pollen en amas méditatifs
Wolfgang Laib (né en 1950, Allemagne) récolte du pollen chaque printemps et chaque été dans les noires forêts et les vertes prairies d’Allemagne. Il le conserve dans des jarres, le dispose également en tas minuscules, ou bien délicatement au sol, composant des grands carrés ou rectangles de lumière. Ses œuvres invitent à vivre une expérience contemplative et méditative, à prêter attention à la beauté de la nature pour elle-même.
Lélia Demoisy : Pollen et charbon en diptyque clair-obscur
Pour Lélia Demoisy (née en 1991, France) le pollen incarne la fertilité, la vie en devenir. Ses tableaux grand format, aux proportions du corps, diffusent la puissance d’un jaune intense propre au pollen du cedrus deodora (cèdre de l'Himalaya). Ce monochrome, présenté comme un diptyque, porte au verso les coordonnées de cet arbre.
Benoît Billotte : Les plantes tinctoriales pour des tissus teints
Benoît Billotte (né en 1983, France) réalise une résidence au Mexique en 2019, lors de laquelle il rencontre la culture Totonaque (peuple amérindien). Il s’intéresse alors aux plantes tinctoriales dont certaines parties peuvent servir à préparer des colorants et des teintures. Ses recherches sur la végétation introduite, domestiquée et cultivée prennent forme dans des installations de tissus teints naturellement à partir de plantes cueillies, par la technique du Tataki-Zomé (qui consiste à marteler un végétal fraîchement coupé sur un tissus pour l'imprimer).
Ming Chun Tu : Des teintes végétales pour dessiner les paysages
Ming Chun Tu (née en 1980 à Taïwan, vit en France), fabrique, elle aussi, ses pigments naturels à partir de plantes spontanées. Ses dessins de paysages, de promenades en forêts ou de rencontres avec le végétal en milieu urbain, réalisés de mémoire, sont ponctués de couleurs douces, proches de la nature. À ses projets d’expositions s’ajoutent des ateliers de découverte des couleurs naturelles qu’elle donne à des personnes de tout âge, afin de transmettre les propriétés tinctoriales des plantes et des aliments : des pratiques qui peuvent faire partie du quotidien.
François Génot : Du fusains maisons au monochrome
François Génot (né en 1981, France) cultive une démarche cyclique, qui va de l'herborisation et la collecte jusqu’à la fabrication de ses propres outils de dessins. Au départ, il crée lui-même ses propres fusains, de manière à être en adéquation avec une expérience complète du lieu qu’il explore et qu’il restitue en dessin. Désormais il crée Mémoire Carbone, une œuvre qui consiste en un monochrome réalisé à partir dudit fusain. Elle restitue la mémoire d’un lieu en attente de transformation. Mémoire carbone prend aussi la forme de workshops, d'événements participatifs lors desquels il convie un groupe de personnes à le suivre dans toute la genèse de son travail, de la reconnaissance des plantes en passant par la fabrication des fusains jusqu’à leur usage en dessin, afin de partager cette attention poétique et cette interaction alternative avec le vivant.
Valérie Crenleux : Des disques racinaires pour la mémoire du sol
Valérie Crenleux (née en 1973, France) cultive, fait germer des racines, en prend soin et les utilise comme une matière pour créer des œuvres, photographies, sculptures, installations... Dans son installation L’héritage : l’interconnectivité de l’univers, les disques racinaires suspendus contiennent la mémoire du sol, en permanente transformation. Les racines l’amènent à convoquer les origines et le développement de la vie.
Kôichi Kurita : La terre en bibliothèque
Kôichi Kurita (né en 1962, Japon) considère la terre comme sa matière première. Il la collecte, l’inventorie, la sèche et en retire tout résidu organique. Il poursuit sa bibliothèque de terre qu’il présente dans des petites fioles ou sous la forme de tamis. Chaque échantillon de terre porte la mémoire des territoires sur lesquels l’artiste s’est rendu. Son installation Terres de Loire est actuellement visible au domaine de Chaumont-sur-Loire dans le cadre de la saison artistique.
Barbara Schroeder : La bouse comme pommade ancestrale
Barbara Schroeder (née en 1965 en Allemagne, vit en France), recouvre de bouse de vache des objets utilitaires, souvent abandonnés, témoins de l’obsolescence technique. Ils apparaissent tels des vestiges, des déchets, typiques d’une société qui met au rebut les moindres éléments usagés. Les formes géométriques moulées rappellent ainsi l’usage de cette matière produite par l’animal, en tant que matériau de construction ancestral. Le recouvrement est, pour Barbara Schroeder, un geste de soin, de réparation. Elle considère la bouse de vache comme une pommade, une crème réparatrice composée de matières organiques secrètes.
Charlotte Gautier Van Tour : L'agar-agar à l'état d'œuvre
Charlotte Gautier Van Tour (née en 1989, France) crée des œuvres à partir d’agar-agar (gélifiant 100% d'origine végétale extrait d'algues marines), un milieu où des micro-organismes peuvent élire domicile. Les micro-organismes vivent leur cycle de reproduction. « J’accompagne la matière en acceptant de co-créer, de collaborer avec elle ». Lorsque les membranes d’algues ont terminé leur cycle, elles deviennent des peaux. Ces fragments peuvent être réactivés, sortir de leur état de dormance. « Je crois en l’agentivité des écosystèmes qui créent leurs conditions de vie », affirme-t-elle.
Marie Van de Walle : Les micro-organismes en teintures
Marie Van de Walle (née en 1994, France) est une artiste cueilleuse qui place sa pratique artistique dans le cycle des saisons. Après l’identification vient la métamorphose de l’œuvre à l’atelier. Pour l’artiste, le temps passé à observer les transformations de la plante l’amène à mieux la connaître. Elle crée des papiers végétaux, des teintures, des anthotypes, des procédés qui nécessitent un temps long avec le végétal. Par ses projets, elle révèle les invisibles, la flore spontanée, les bactéries et les micro-organismes qui ont bien souvent mauvaise presse alors que ce sont les premières formes de vie sur terre.
Côme di Meglio : Les racines de mycélium pour un espace tissé
Avec MycoTemple, Côme di Meglio (né en 1988, France) invite à pénétrer dans un espace tissé par des racines de mycélium (l'appareil végétatif des champignons). Cette architecture suggère une grotte, ou d’autres habitats ancestraux, voire sacrés. Ce foyer incite à la fois à se connecter avec son intériorité et avec l’extérieur. Rencontrant cet être, notre corps peut entrer en dialogue avec lui-même ainsi qu’avec autrui.
Chloé Jeanne : Le mycélium pour des tableaux vivants
Chloé Jeanne (née en 1994, France) laisse faire le mycélium, qu’elle cultive en son atelier. Ses œuvres révèlent les capacités de prolifération de ces êtres vivants. Ses capsules olfactives invitent à entrer en connexion avec les champignons. Sur ses Tapis d’éveil, le mycélium croît, se diffuse, suit des chemins et crée des formes. Le support craquelle, résiste, réagit plus ou moins à la migration de cet être vivant. L’artiste prend le temps de comprendre l’organisme vivant avec lequel elle crée, et complète ses expériences par des recherches scientifiques.
Anouck Durand Gasselin : Les champignons pour éveiller les sens
Anouck Durand Gasselin (née en 1975, France), invitée au Centre d’art nourricier à Malakoff, propose Mycorama, où elle donne à voir le déploiement de onze espèces de champignons cultivées dans une œuvre qui invite à toucher, à sentir et à déguster.
Chacun·e à leur manière, ces quatorze artistes réhabilitent des procédés nécessitant une temporalité longue, une approche expérimentale, et une appétence pour la compréhension des êtres vivants non humains. Leurs œuvres invitent à regarder avec attention le vivant, à en prendre soin et à cultiver une attitude plus douce et humble avec la nature.