En ce moment à la Gaîté Lyrique et pour une semaine encore se tient une exposition d’ampleur organisée en collaboration avec l’association COAL. Cette exposition gratuite pluridisciplinaire retrace quinze années d’art écologique et présente ainsi une nouvelle culture de l’écologie et du vivant. Foncez !
Cette exposition prend place dans le cadre du nouveau projet pour les cinq prochaines années de la Gaîté Lyrique intitulé La Fabrique de l’époque. L'objectif ? Ouvrir le lieu le plus possible à tous·tes et surtout intégrer de plus en plus le vivant dans la programmation. C'est définitivement le cas avec ce panorama de quinze années d’art écologique mené par COAL. Le projet COAL, depuis sa création en 2008, c’est une cinquantaine d’expositions pour « mobiliser les artistes et les acteurs culturels sur les enjeux sociétaux et environnementaux et promouvoir le rôle incontournable de la création et de la culture dans les prises de conscience, la transformation des territoires, et la mise en œuvre de solutions concrètes. »
Pour les deux commissaires d’exposition de COALITION, Sara Dufour et Lauranne Germond, il est urgent de « dépasser le seul registre du savoir pour susciter l’action ». C’est le mot d’ordre de leur exposition qui se tient jusqu’au 2 juin en accès libre à la Gaîté Lyrique : présenter les œuvres d’une cinquantaine d’artistes réalisées en collaboration avec la nature, à partir de matériaux naturels et organiques récupérés pour nous faire réagir et prendre conscience. Comme avec « la sculpture sociale » Le Cri de l’artiste Thierry Boutonnier qui nous accueille dans la première partie de l’exposition, accessible directement dans le hall de la Gaîté Lyrique. Un immense pneu de tracteur pendu au plafond, accompagné d’une urne et de bulletins de votes aux noms de différentes entités naturelles comme les tortues marines, les requins ou même la Terre Mère... Une œuvre pour nous rappeler, à l’approche des élections européennes, que les droits de la nature ne sont toujours pas reconnus.
Le point commun de tous les artistes exposés, de nationalités variées et travaillant sur des médiums multiples, c’est qu’ils ont tous été distingués par le Prix Coal Art et Environnement. Un prix remis par COAL depuis 2010 pour accompagner l’émergence d’une nouvelle culture de l’écologie et du vivant. Les salles de l’exposition sont organisées selon des thématiques puissantes comme « Cultiver la résistance », « No Limit » ou encore « Réconciliation et résistance »… On navigue dans plusieurs salles « de la résilience à l'engagement en passant par le militantisme et la prise de conscience de la perte », un parcours au fil des émotions qui marque et habite longtemps les visiteur·ses.
Ensemble, les artistes exposés tentent de recréer du lien, de nouer de nouvelles alliances entre humains et non humains dans une société qui sépare toujours plus. Cette question des nouvelles alliances à construire est centrale dans cette exposition. Ce qui nous a particulièrement plu dans le parcours de COALITION, c’est l’accent mis sur l’importance des artistes pour représenter « la vie bonne » et diversifier les représentations du monde désirable de demain. Les artistes ont un rôle essentiel à jouer - nous en sommes intimement persuadées -, celui de nous guider vers de nouvelles manières d’habiter la Terre et de cohabiter avec le reste du vivant. En ça, ils sont des acteurs précieux de la transition écologique.
Quelques artistes à suivre qui nous ont tapé dans l’œil
Dès l’entrée dans l’espace de l’exposition, impossible de louper les Procession Banners colorées accrochées au mur. Elles accueillent les visiteurs par un appel à l'action et rappellent l'importance des luttes et surtout, pour Lauranne Germond, « leur succès possible ». En effet, elles ont été cocréées et cousues par Lucy & Jorge Orta avec des détenues de la prison HMP Downview à Londres pour commémorer le centenaire du mouvement des suffragettes. Un mouvement qui a débouché sur une victoire avec l’obtention du droit de vote pour les femmes en 1918 et a aussi inspiré les féministes d’autres pays à mener ce combat.
Deux œuvres présentées par le duo Art Orienté Objet fondé par Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin en 1991, nous ont particulièrement plu, et nous ont rappelé la philosophie du groupe de L’écologie culturelle et la performance de Patrick Scheyder Des arbres à défendre ! autour des textes de George Sand. D’abord, la figure de l’éco-combattant, un mannequin taille réelle, datant de 1997 et des premières actions dans la forêt de Fontainebleau. Il est équipé de tout l’attirail nécessaire pour s’enchaîner aux arbres et protéger cette « réserve artistique » des coupes rases. Il a ses chaînes, son marteau, ses clous et son microphone… Aujourd’hui, on le verrait bien lutter contre le projet de l’A69 aux côtés de Thomas Brail et les défenseurs des arbres du GNSA. Plus loin, c’est un banc d’église avec ses cierges électroniques installé face à une photo prise lors d’actions dans la forêt de Fontainebleau qui nous invite à méditer sur le sort réservé à la nature. Faudrait-il la sacraliser pour la protéger ? Pour allumer les cierges, il faut glisser une pièce dans la fente. Tout l’argent récolté ira bien sûr à une association, c’est un « don pour la terre ».
Gros coup de cœur également pour l’installation monumentale et immersive Mémoire des glaciers de l’artiste Angelika Markul. C’est une salle entière où l’on pénètre dans l'ombre et où l’on s’immerge de manière symbolique et puissante. En repassant les portes de cette pièce au retour, on est un peu différent, ému et remué. L’artiste nous plonge dans des vidéos réalisées à El Calafate, sur les glaciers de la Terre de Feu, entre l’Argentine et le Chili, ces glaciers qui disparaissent petit à petit. Le glacier fond et s’effondre progressivement sur un fond musical apocalyptique. Avec la centaine de visages de cire qui nous entourent dans la noirceur de cette salle, Angelika Markul dresse un parallèle entre le peuple de la Terre de Feu décimé à l’arrivée des Européens et les glaciers, mis en péril par les activités humaines.
Le travail photographique en noir et blanc d’Anaïs Tondeur, Noir de Carbone, autour des particules de carbone et de la pollution aérienne est lui aussi particulièrement parlant. Ses photographies sont le fruit de son pistage des particules fines, issues des activités humaines, un acteur d’ordinaire invisible qui vient pourtant polluer notre environnement et nos corps. Chaque année, selon l'OMS, 3,5 millions de personnes meurent de ces polluants rejetés dans l'atmosphère. Ici, cette pollution est rendue, pour une fois, extrêmement visible grâce au processus de création utilisé par la photographe. C'est le noir de carbone accumulé dans son masque respiratoire, sur chacune de ses journées de pistage, qui a été transformé en encre photographique. C'est simple, plus le noir domine sur l’image, plus le volume de particules présent dans le ciel est important.
À proximité des photographies d’Anaïs Tondeur, ce sont cette fois des aquarelles qui nous ont fait gentiment sourire. Elles s’intitulent Éléments de langage : les actes et ont été réalisées par les artistes Suzanne Husky et Stéphane Sagot du Nouveau Ministère de l'Agriculture. Cette série d’aquarelles dénonce le fossé qui subsiste entre les actions de communication des hommes politiques les plus inactifs sur la question du changement climatique mises en place lors de cérémonies officielles et les actes concrets de ces mêmes personnalités. On y découvre Boris Johnson, le pape ou encore Nicolas Sarkozy en pleine opération de greenwashing plantation d'arbre. Toujours cette même stratégie de communication bien rodée et cette « mascarade politique » permanente.
Pour ressortir de l’exposition, il faut franchir le poétique jardin de poèmes et de fleurs de l’artiste Alex Cecchetti. On le traverse lentement, en prenant le temps de lire chaque message, de s’imprégner du sentiment d'espoir qui s’en dégage. L’artiste nous explique qu’il « travaille en collaboration avec les fleurs, les racines et des plantes. » Et ajoute : « Je ne suis pas le seul artiste, les plantes décident aussi ». En effet, les panneaux textiles qui composent sa forêt sont peints à partir d’éléments naturels, oignons, figuiers, glands… L’objectif d’Alex Cecchetti, tisser un lien entre la beauté et la politique et « nous attraper dans un jardin de poème pour nous faire réfléchir ».
Avant de repartir, on vous conseille un dernier petit tour par la table « bibliothèque de la COALition » où chacun des artistes de l’exposition a donné un livre important pour lui. De quoi piocher de l’inspiration pour continuer à infuser ces réflexions sur le temps long. En introduction à notre visite, Lauranne Germond, co-fondatrice et présidente de l’association COAL soulignait qu’à l’époque de la création de COAL, « personne ne parlait encore d’écologie dans l’art » et se réjouissait de voir qu’aujourd’hui ces sujets autrefois marginalisés sont partout. « Il n’y a plus un lieu qui n’en parle pas ! ». De quoi repartir avec de l’espoir. Le mot de la fin va à Lauranne Germond : « C'est avec l'imaginaire qu'on va changer le monde ». Nous on dit oui.
Infos pratiques :
L'Exposition COALITION est accessible gratuitement depuis le hall de la Gaîté Lyrique jusqu'au 2 juin, du mardi au vendredi de 14h à 20h et samedi dimanche 14h-19h. Nocturne le 1 juin dans le cadre de la Nuit Blanche.