À la rencontre d’un éleveur d'icebergs

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màj en mars 2024
Glacier sous cloche : œuvre de Barthélemy Antoine-Loeff

Tous les travaux de l’éleveur d’icebergs Barthélemy Antoine-Loeff ont en commun qu'ils tentent de maintenir en vie ou de prolonger artificiellement la vie de quelque chose qui est en train de mourir ou de disparaître, le tout dans un univers sensible et onirique. Catastrophé par l'impact de l'humain sur son environnement, il a plus récemment resserré l'ensemble de son travail sur la disparition de la cryosphère. 

Vous vous présentez comme artiste plasticien et éleveur d’icebergs. Mais dans une vie antérieure, vous avez été réalisateur de documentaires sur l’environnement. Pourquoi avoir opté pour l’approche artistique ?

Barthélemy Antoine-Loeff : Privilégier l’approche poétique et artistique permet de quitter un espace noir ou blanc pour un espace où chacun·e se raconte sa propre histoire. Ce qui est important pour moi, c'est de ne jamais formuler de proposition tranchée mais faire appel à la part sensible de chacun. Je trouve que cette approche sensible, complémentaire des travaux scientifiques auxquels nous avons accès, peut aider à prendre du recul, et amener subtilement le public à mieux comprendre des enjeux liés au climat. Or, vu l’urgence climatique, je pense qu’il faut passer par tous les moyens possibles : il faut des activistes pour bloquer les assemblées générales de grands groupes pétroliers, des chercheurs qui écrivent des rapports, et des artistes qui font appel au sensible.

Glacier sous cloche, avec du public autour
Tipping Point de Barthélemy Antoine-Loeff © David Gallard, Stereolux Scopitone

Pourquoi le sujet des glaciers vous touche-t-il particulièrement ?

B. A-F. : L'univers des pôles est très puissant, à la fois du point de vue de l’imaginaire et du point de vue des sensations qu'on a là-bas : la lumière, les sons sont différents. Ce sont des endroits où je me retrouve en état de contemplation : je m'y sens petit. Et puis, il y a la majesté d'un glacier : il y a quelque chose d'assez dingue à imaginer un morceau de glace suspendu à une montagne que l'on voit fondre. Les icebergs aussi me fascinent : à partir du moment où il naît, il est voué à disparaître. Ce sont des êtres évolutifs, d’ailleurs les glaciologues considèrent que les glaciers et les icebergs sont vivants. Ils utilisent même le terme de vêlage pour parler de la naissance d'un iceberg, comme pour un veau ! Considérer que les glaciers sont vivants, c'est réaffirmer son lien au vivant : affirmer qu’on fait partie de cet écosystème, et qu'on en dépend.

Pouvez-vous nous présenter Tipping Point ?

B. A-F. : Tipping Point est un glacier sous perfusion, sous une cloche en verre et qui est nourri à raison d'une goutte d'eau régulière. Il n’est pas précisé si c'est un nouveau glacier artificiel qui est en train de naître ou si c'est un glacier qui est en train de disparaître et dont on chercherait à prolonger la vie artificiellement. C’est un mélange entre plusieurs histoires, qui ne sont jamais figées : la personne qui contemple ce glacier peut s'écrire sa propre histoire. L'âge est compté en gouttes d’eau (actuellement, on est à 11 726 gouttes), tandis que les glaciers de montagne sont comptés en milliers d’années. Ça permet de ramener à une échelle du sensible.

En tout cas, le point de départ pour moi se situe en 2014 lorsque l'Iceland a perdu un glacier qui s'appelle Okjökull, marquant le début de la fin des glaciers. Ce qui m'intéressait dans ce glacier, c'est la plaque commémorative qui y a été posée en son hommage : habituellement, on met une plaque commémorative pour un héros ou une victime, et en faisant cela, on change la représentation qu’on a de ces personnes. À partir du moment où l’on reconnaît officiellement que les humains ont un impact sur les glaciers, on peut ouvrir d'autres récits et peut-être commencer à reconstruire un autre lien au vivant.

Deux photos montrant l'évolution du glacier Okjökull entre 1986 et 2019 : à gauche, avec de le sommet enneigé, à droite, la glace et la neige ayant disparu
 Évolution du glacier Okjökull entre 1986 et 2019. 
Capture d’écran issue du site de Barthélemy Antoine-Loeff

Comment maintenez-vous en vie vos glaciers ? 

B. A-F. : Poétiquement, le glacier est composé de souffle boréal et de l'eau d'un glacier fraîchement disparu. Mais en réalité, ce glacier utilise de l'énergie, bien que je me sois donné une limite à ne pas dépasser : je ne peux pas parler de disparition des glaciers tout en brûlant une énergie considérable pour maintenir un petit morceau de glace en vie.

Pour moi, c'est important que les artistes prennent conscience que créer coûte quelque chose à la planète : en matériaux, en énergie... En parler, c'est évoquer ce qu’est un monde fini. Peut-on créer de la même manière qu'avant ? Personnellement, je me pose souvent la question de savoir si la pièce que j'ai envie de créer vaut le coup ou pas. Je suis tiraillé entre le fait de faire quelque chose, et de ne rien faire.

Comment votre glacier sous perfusion est-il reçu par le public ? 

B. A-F. : Depuis la pandémie, j'ai commencé à proposer aux particuliers qui en faisaient la demande d'héberger ce glacier et de veiller dessus pendant quelque temps. J'ai commencé à le balader à vélo, de maison en maison et de salon en salon. Il va aussi parfois dans des écoles, sur Paris et en région parisienne. Ce dispositif permet d’imaginer un monde où tous les glaciers deviendraient des objets de collection, ou un objet de curiosité que l'on poserait sur une étagère.

Mais peu à peu, je me suis rendu compte que ce glacier était bien plus qu'une oeuvre d'art pour les gens qui le recevaient : quand je le dépose, je dépose une œuvre d'art, et quand je viens le récupérer, il est devenu pour les gens quelque chose de vivant, un membre à part entière de la famille, qui respire, qui provoque des émotions, à qui on parle, qu'on montre à ses amis… Les termes utilisés pour en parler sont souvent liés au vivant. À partir du moment où les gens s'approprient ce langage-là, le pari est gagné pour moi. 

Photo de la pièce Ce qui disparaît se transforme immédiatement en éternité : optimisation de l’iceberg ou la darwinisme des glaces de Antoine Meissonnier et Barthélémy Antoine-Loeff
Photo de la pièce Ce qui disparaît se transforme immédiatement en éternité : optimisation de l’iceberg ou la darwinisme des glaces de Antoine Meissonnier et Barthélémy Antoine-Loeff © S-Thevenin

Mine de rien, vous êtes à deux doigts de tenir une jolie solution de géo-ingénierie, non ? 

B. A-F. : Haha, surtout pas ! Justement, c’est une critique du techno solutionnisme. D’ailleurs, l’installation Ce qui disparaît se transforme immédiatement en éternité, que j’ai créé avec l’ingénieur Antoine Meissonnier, vise à recréer de nouveaux icebergs “résilients”, c'est-à-dire qui soient aussi longs à fondre que possible. C’est un parti pris ironique. On a créé une machine qui vient façonner les icebergs selon un algorithme d’intelligence artificielle : elle sculpte l’iceberg, elle analyse son travail, puis elle retente une nouvelle version de l'iceberg en fonction des données récoltées. Ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elle trouve l'iceberg qui mette le plus longtemps à fondre. Mais le postulat de base est absurde puisqu'à partir du moment où naît un iceberg, on sait qu’il va disparaître ! 

L'idée est de parler à la fois de la disparition des glaciers, mais aussi de la question de la réparation du climat en utilisant des technologies. À en croire un certain discours politique aujourd’hui, on devrait miser sur des technologies pour nous sauver, or je pense que c'est un discours très dangereux. Avec cette installation, je veux pointer du doigt le danger de cette idée, et j’ai bon espoir que la machine s'apercevra d’elle-même qu'elle ne trouve pas la solution et s'arrête d’elle-même. Mais jusqu'à présent, elle ne s’est pas arrêtée : la glace est une matière très friable. La buse projette de la vapeur d'eau brûlante sur la glace ce qui créée des erreurs dans l’algorithme qui est incapable d’achever son processus de recherche et revient systématiquement à la case départ. C'est une machine absurde, pour un projet absurde. Le postulat de départ est biaisé : je me permets de dire qu'il y a quelque chose d'absurde à vouloir réparer le climat en faisant appel à l’intelligence artificielle pour dénoncer des absurdités du gouvernement et d'un certain nombre de startups.

Les prochaines expositions de Barthélemy Antoine-Loeff : 

  • Du 19 janvier au 15 avril - Exposition Fiat Lux, Centre Tignous d’Art Contemporain, Montreuil, France
  • Du 2 janvier au 16 mars - L’horizon des évènements, chapitre #1, exposition personnelle, Athénéum, Dijon, France
  • Du 3 février au 24 avril - L’horizon des évènements, chapitre #2, exposition personnelle, Un Singe en Hiver, Dijon, France
  • Du 21 au 25 avril - Festival Safra’Numériques, Amiens, France
  • Du 11 au 15 avril - Festival #Rêveries, ASCA, Beauvais, France

Photo à la Une : Tipping Point de Barthélemy Antoine-Loeff © Grégoire Edouard

Mathilde Simon
Mathilde est journaliste spécialisée sur les problématiques environnementales, les sujets artistiques et l'impact du numérique sur la société, le tout sous un angle résolument optimiste.
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