
« Je flippe tu sais », le journaliste Hervé Kempf n’apparaît pas rassuré dans cette nouvelle BD satirique indispensable dont il est l'un des protagonistes. Après le phénomène fulgurant Eat the rich, il signe aux côtés de l'illustrateur Juan Mendez une énième tentative pour ramener à la raison les ultra-riches et leurs passions destructrices. Un argumentaire drôle et implacable pour documenter la crise écologique et sociale.
Dans le vaste univers des bandes dessinées engagées, Comment les riches ravagent la planète - Et comment les en empêcher risque de s’imposer comme une référence. Sous la plume acerbe du directeur du média indépendant de l'écologie Reporterre, Hervé Kempf, qui adapte et actualise en BD son propre best-seller paru en 2007, on découvre une œuvre puissante, à la fois instructive et percutante, qui nous plonge au cœur des inégalités sociales et de leurs effets dévastateurs sur l’environnement. Dans cette bande dessinée d’une centaine de pages, les deux personnages principaux, l’auteur et son illustrateur Juan Mendez, échangent sur leur projet de roman graphique.

En s’appuyant sur des reportages et des documents scientifiques, des rencontres avec des milliardaires, des schémas et des graphiques, Hervé Kempf livre une réflexion lucide et surtout sans concession sur l’impact disproportionné des plus riches sur la planète. Il ne se contente pas de décrire une situation apocalyptique, mais nous pousse à réfléchir à nos propres actions, à notre place dans ce système, et à la manière dont nous pouvons, collectivement, reprendre le contrôle.
Les riches : fauteurs de troubles climatiques
La BD a le mérite d’offrir une petite piqûre de rappel sur ce qui a mené notre civilisation au modèle capitaliste : de la patate à l’industrialisation, en passant par la colonisation et l’esclavage. Le capitalisme, tel qu’il est décrit dans cette bande dessinée, n’est que la continuité d’une longue histoire d’accumulation des richesses par une minorité, au détriment du bien commun. Mais pourquoi ce mode de vie polluant et destructeur, basé sur la domination sociale et la recherche d'un luxe toujours plus grand, inspire-t-il toujours autant, génération après génération ?

La force de cet ouvrage réside dans sa riche documentation. On y découvre les analyses de sociologues, économistes, ou chercheur·ses, comme Thomas Piketty, Thorstein Veblen, Immanuel Wallerstein, Julia Cagé, etc. Les chiffres et les faits défilent : émissions de CO2, destruction des forêts et des écosystèmes marins, surexploitation des ressources… L’accumulation des données (un peu plombantes) nous fait surtout prendre conscience que ces quelques privilégiés ne se contentent pas de naviguer dans des super-yachts, ils pilotent aussi la planète vers une catastrophe annoncée.

Construction d’un immeuble de 27 étages avec héliport et garage pour 160 voitures personnelles, installation d’une douche à champagne sur un yacht… Des caprices absurdes, qui hissent les ultra-riches comme responsables d’une part disproportionnée des émissions de CO2 dans le monde. De par leur mode de vie, mais aussi parce que leur fortune s’est construite sur des pratiques destructrices de l’environnement. C’est le cas d’Elon Musk (fusées, automobile), de Jeff Bezos (surconsommation généralisée), de François Pinault (bois tropical, avant de faire dans le luxe), de Warren Buffett (énergies fossiles), de Mukesh Ambani (production de plastique), de la famille Dassault (aviation), de Thomas Schmidheiny (production de béton) et de nombreux autres encore parmi les personnalités les plus riches de la planète.
Derrière les éclats de rire, la colère
Imaginez une réunion ultra VIP où les puissants de ce monde s'auto-congratulent après avoir commandé un nouvel avion privé ou décidé la destruction de quelques hectares de forêt amazonienne, tout en discutant de la prochaine grande idée pour sauver le climat… Ou de leurs futurs projets d’installation sur Mars, lorsqu’il ne restera plus rien de notre planète. On rit, souvent jaune, mais c’est là tout le génie de cette BD. Derrière chaque caricature de milliardaire, Hervé Kempf lève le voile sur les manigances de ces 1 % voire 0,001 % d’ultra-riches qui influencent nos trajectoires politiques et sociales. Mais toujours avec ce filtre caustique qui vous empêche de sombrer complètement dans le désespoir.

Loin des discours consensuels sur le développement durable ou les promesses d’une transition écologique orchestrée par les grandes entreprises, ce roman graphique pointe du doigt la nécessité d’une vraie rupture. Hervé Kempf ne laisse aucune place à l’ambiguïté : tant que ce système économique, basé sur la croissance infinie et l’exploitation des ressources, perdurera, il sera impossible de résoudre la crise écologique. Et les plus riches doivent montrer l’exemple. Que faire face à l’indignation et la colère ? Peut-on encore changer le cours des choses ? Cette bande-dessinée vous apportera sûrement quelques réponses et surtout, vous incitera à agir.
Comment les riches ravagent la planète. Et comment les en empêcher, Hervé Kempf et Juan Mendez, Seuil, 128 pages, 20€
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