Comprendre l'upcycling (2/3) : un vecteur d'émancipation pour la jeune création

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màj en août 2024

Pour le deuxième article de notre série sur l'upcycling, Carbo se penche sur les horizons artistiques que l’upcycling offre aux jeunes créatifs dans la mode. Dans une génération frappée par la crise économique et consciente des enjeux environnementaux, il peut être difficile de concilier l’art, le monde professionnel et ses valeurs. Mais pour certain·es jeunes, l’upcycling est un moyen d’y parvenir, comme en témoignent élèves et enseignants.

Des formations 100% éco-responsables

On vous l’expliquait dans notre premier article : il y a vingt ans, réutiliser des vêtements pour les transformer était accueilli avec hilarité, voire mépris, par la mode. En 2024, les choses ont bien changé : il existe désormais des écoles de design entièrement consacrées à cette pratique. C’est par exemple le cas de l'école Studio Lausié à Marseille, qui accueille cette année sa troisième promo de jeunes créateur·ices. L’ancienne designer Marion Lopez l’a fondée en 2021, motivée par l’envie de créer une école accessible financièrement, qui respecte la planète et encourage la liberté artistique. « La réalité du métier, c’est qu’on rentre souvent dans un système économique où l’argent et la quantité sont priorisés. Donc il faut des dessins commerciaux et la créativité est mise de côté. Même dans les grandes maisons, à moins d’avoir le plus haut poste et encore, on va avoir des obligations. Créer cette école permettait de promouvoir quelque chose de plus libre et artisanal. » déclare-t-elle.

La deuxième promo de Studio Lausié après leur défilé de fin d'étude

Une autre école réputée pour son approche de l’upcycling est la Casa93, qui propose des formations entièrement gratuites pour les jeunes de 18 à 25 ans à Montreuil et à Toulouse. Julie Rilos fait partie de sa nouvelle promotion montreuilloise. Également danseuse professionnelle, elle a toujours pratiqué l’upcycling sans le savoir. « J’ai commencé la couture en autodidacte. Je n’avais pas encore mis le mot upcycling dessus, mais je n’avais pas de budget pour acheter des tissus. Donc j’utilisais mes propres vêtements pour créer des nouvelles tenues ! La Casa93 met l’accent sur la durabilité et la pluridisciplinarité, donc c’était exactement dans la lignée de ce que je faisais. »

De nombreux jeunes pratiquant l’upcycling s’impliquent dans plusieurs projets artistiques à la fois. C’est le cas de Mia Engel, une ancienne élève de la Casa93 et de l’Institut Français de la Mode. « J’ai ouvert mon atelier de création avec mon binôme Margaux, Comme deux gouttes d’eau. Toutes nos créations sont upcyclées à partir de vêtements de seconde main et de surplus de tissus. En parallèle nous travaillons avec d’autres petites marques éco-responsables, avec lesquelles nous développons et produisons leurs modèles. » La designer a par exemple imaginé un corset upcyclé pour le projet alternatif Collectivo.

Collection de fin d'études Mia Engel

Une libération artistique

Au-delà d’un souci écologique, c’est aussi son aspect créatif qui rend l’upcycling si attirant. Car contrairement à de nombreuses disciplines aujourd’hui, c’est un art accessible et directement connecté au réel. Julie confirme : « Je suis née et j’ai grandi en Martinique et mon environnement a toujours alimenté mes créations entre le sable, les cordages, la végétation… Je m’inspire principalement de la Caraïbe, mais aussi de la culture hip-hop, comment retravailler les sweats, les durags… » Artistiquement parlant, elle se laisse guider par les circonstances : « Je suis très libre dans mon procédé, j’ai rarement un but final. Par exemple, j’ai demandé à une amie qui avait des chutes de crochet d’en faire des mailles, que j’ai décidé d’assembler pour faire un haut. Il évoque d’ailleurs les cages à poissons et le cordage marin, ce qui est vraiment venu avec la matière. »

Création upcyclée Julie Rilos photographiéé par @mizzywizz

Julie est loin d’être la seule enthousiasmée par cette approche artistique, comme le confirme Mia : « Dans mon entourage et la jeune création, l’upcycling est devenu courant ! Pour moi, c’est beaucoup plus riche qu’avec une fabrication classique. Partir des détails et matières déjà existantes, ça booste la créativité. Ça nous permet de jouer avec différents styles, en les détournant à notre manière. »

Effectivement, malgré les contraintes qui viennent avec le fait de ne pas travailler un tissu neuf, Marion voit les élèves de Studio Lausié s’épanouir. « Ce que j’adore, c’est que chacun et chacune se révèle. Ils sont obligés d’utiliser l’existant, ça les incite à regarder ce qu’il y a autour d’eux, de réaliser qu’on peut créer même avec une bâche trouvée dans une cave ! J’adore cette idée d’inverser. Quand j’étais styliste pour des marques, on partait uniquement de nos idées puis on cherchait comment les amener à la réalité (avec souvent beaucoup de voyages et de produits chimiques). L’upcycling n’a rien à voir. »

Et pour demain ?

Dans notre économie précaire, cette passion peut-elle être convertie en profession pour les jeunes créatifs ? En tout cas, l’idée d’intégrer des entreprises mainstream ne fait plus tant rêver… « J’ai le sentiment que les grandes maisons ne font plus rêver la jeune génération car il y a souvent beaucoup de pression. On ne s’y retrouve plus humainement, éthiquement. Beaucoup ont envie de changement, et on voit plein de petites structures émerger sur les réseaux sociaux. Ça renforce l’idée qu’une mode alternative est en train de s’affirmer. » estime Mia.

Marion partage son point de vue et constate que la plupart de ses élèves ne sont pas aussi enthousiasmés par l’idée d’aller dans les grandes entreprises que dans les générations précédentes. Elle appuie : « Honnêtement, quand je vois les Fashion Weeks, où des pièces dictées par des tendances se ressemblent, je m’ennuie un peu. C’est vraiment créer pour grossir ! »

Mais cela reste difficile d’envisager des projets créatifs, engagés et viables économiquement en 2024. Beaucoup de jeunes devront sûrement trouver un équilibre en plusieurs activités, comme le projette Julie. « Je ne sais pas encore de quoi sera fait l’avenir ! En plus de la danse, j’aimerais faire des créations limitées, propres aux clientes et à moi-même, qui expriment ma vision de l’art. Je crée aussi des costumes pour mes chorégraphies, donc j’aimerais explorer l’idée de, plus largement, créer des vêtements pour le spectacle vivant. »

Pour relire l'épisode 1 de cette série sur l'upcycling, rendez-vous ici. Et pour découvrir le dernier épisode, c'est plutôt ici.

Crédit illustration de couverture : Image issue du site internet de Casa93 de la création intitulé "PROJETS SPECIAUX"

Claire Roussel
Claire est une journaliste indépendante spécialisée dans la mode durable et les questions féministes. Elle a collaboré avec des médias comme Tapage, Gaze, NYLON et Marie Claire et produit le podcast Couture Apparente.
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