Docus animaliers : servent-ils vraiment la cause écolo ?

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màj en mars 2024
Photo d'un lion en gros plan, avec un éclairage et une mise en scène épique

Goût certain pour le sensationnalisme, trucages et vision fantasmée du vivant : les documentaires grand public sur la faune sauvage ne sont pas toujours aussi inoffensifs qu’on pourrait le penser. Et si l’on changeait notre regard (caméra) sur le règne animal ?

On les a tous en tête : des images spectaculaires de lions chassant la gazelle dans la savane, de jungles luxuriantes fourmillant de mille et une créatures toutes plus colorées ou étranges les unes que les autres. Rien de tel qu’un documentaire animalier comme la série Our Planet, blockbuster du genre sur Netflix, pour voyager depuis son canapé un dimanche après-midi pluvieux dans des contrées lointaines où la nature se fait soudainement spectacle. 

Au risque, parfois, de tomber dans la surenchère ? « On remarque souvent, dans les documentaires grand public, un recours important au sensationnalisme, avec parfois une mise en scène du cinéaste animalier qui va incarner l’image de l’aventurier-baroudeur. Cela renforce l’idée d’une nature inaccessible, que seule une poignée d’élus peuvent observer, alors que le vivant est en réalité tout autour de nous », soulève la vidéaste Céline Bouquet, qui a consacré un travail de recherche aux « représentations de la faune sauvage proche au service d’une re-sensibilisation au vivant et in fine à sa protection ». 

Dynasties (2018), diffusé par la BBC
Dynasties (2018), diffusé par la BBC

Des chercheurs ont également pointé du doigt le regard « anthropomorphique » de la série Dynasties diffusée sur la BBC, où chaque espèce mise en lumière est montrée « dans une lutte héroïque contre ses rivales et les forces de la nature » (selon la description épique à souhait donnée par la chaîne de télé britannique). Ces productions, écrivent les spécialistes, sont construites comme des « soap opéras » avec des « animaux dotés de la capacité d’être conscients de l’existence de dynasties et désireux de s’y hisser. » Une représentation « ni honnête, ni utile » au regard des efforts de conservation des espèces, jugent-ils. 

« Nature porn » et trucages

Pire, la quête de plans à couper le souffle court le risque de diffuser une version biaisée voire complètement trompeuse du vivant. La palme des trucages malhonnêtes revient au docu Disney White Wilderness (1958) qui avait marqué les esprit en filmant un « suicide collectif » de lemmings… à partir d’images montées de toutes pièces. Quelques décennies plus tard, il fut révélé que les petits rongeurs avaient en réalité été amenés en avion sur le lieu du tournage et éjectés de la falaise

À en croire le réalisateur Chris Palmer, auteur d’un ouvrage intitulé Confessions of a ­Wildlife Filmmaker (2015) dans lequel il révèle tout un tas de magouilles peu reluisantes dans l’industrie du documentaire animalier, ce type de manipulation parfois cruelle n’y est hélas pas rare. Cinéaste et spécialiste du cinéma animalier en France, Maxence Lamoureux confirme : « Les gros plans spectaculaires sont souvent difficiles à obtenir avec des animaux sauvages. Si l’on fait un film sur les ours en France, par exemple, on sait que l’on n’aura pas l’animal en gros plan en train de se balader tranquillement dans la montagne. Donc on va le faire avec des animaux dressés en captivité, ce que le public ne sait généralement pas ». 

Dans un article, Chris Palmer fustige par ailleurs une forme de « nature porn » véhiculé par certaines productions avides de sang et de sexe dans le règne animal. « Les images d'attaques de requins peuvent constituer un divertissement passionnant, mais c'est irresponsable, poursuit-il. En trompant le public et en inspirant la terreur, ces programmes télévisés découragent la conservation. » 

Our Great Natural Parks (2022), sur Netflix
Our Great Natural Parks (2022), sur Netflix

Une vision fantasmée (et dangereuse) de la nature

Ce type de représentation induit une forme de « hiérarchie » parmi les espèces, fait remarquer Céline Bouquet, en évoquant également des « critères esthétiques » et en termes « d’utilité aux êtres humains. » On aurait ainsi plus tendance à vouloir sauver les pandas et les bébés phoques que les bêtes sanguinaires ou « nuisibles », ou encore ceux qui nous apportent des « services » comme la pollinisation dans le cas des abeilles. « Alors qu’il y a plein de choses qui nous échappent et on ne devrait pas avoir ce privilège de se demander quelle espèce on va préserver plutôt qu’une autre », estime-t-elle. 

Plus largement, bon nombre de ces productions perpétueraient le fantasme d’une nature « sauvage » qui, pour être protégée, devrait être épargnée de toute présence humaine, critique Fiore Longo, directrice de la branche française de l’association Survival International. « Notre vision de la nature est un rêve de personnes qui n’ont pas besoin de la nature pour vivre et qui la regardent dans une perspective esthétique et nostalgique, perçoit-elle, parce qu’on est en train de détruire nos espaces naturels et que l’on a besoin de rêver de la nature des autres. » Une mythologie dangereuse qui a entraîné l’expulsion de populations autochtones hors de leurs terres, dénonce-t-elle en détaillant le cas des Massaïs en Tanzanie, qui ont dû laisser la place à des parcs naturels – célébrés notamment par le documentaire oscarisé Serengeti shall not die (1959) –, alimentant au passage l’industrie touristique. N’en parlons pas seulement au passé : paru en 2022, le documentaire consacré aux plus beaux parcs nationaux du monde, Our Great Natural Parcs, narré par Barack Obama, s’inscrit selon elle dans cet imaginaire.

Le spectacle de la destruction 

À l’heure de la sixième extinction de masse, le genre va-t-il entamer sa mue ? « C’est assez récent : on remarque depuis quelques années, dans les documentaires grand public, que l’on commence à parler clairement de l'impact de l'homme sur le vivant », note Céline Bouquet en faisant référence à la série Our Planet. On y voit notamment des morses tomber d’une falaise en Russie vers une mort certaine en raison du recul de la banquise entraîné par le changement climatique, nous dit-on (car la cause réelle de ces chutes fait débat dans la communauté scientifique). La disparition massive des espèces, nouvel élément de spectacle ? C’est ce que suggère Maxence Lamoureux, estimant que les menaces qui planent sur la faune sauvage peuvent « être utilisées comme un outil de narration et de spectaculaire, sans que l’on entre dans le détail des sources du problème, à savoir notamment le morcellement des milieux naturels en raison des activités humaines ». 

« Longtemps, il a été question pour le film animalier d’émerveiller le public, afin qu’il prenne conscience de la beauté et de la diversité de la nature pour lui donner envie de la protéger, ajoute-t-il. Quand on voit la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement, on peut se demander si cette approche est la bonne. Certains films vont plutôt essayer de choquer les gens. » Et la stratégie pourrait être payante : en braquant l’objectif sur l’horreur de la déforestation en Indonésie et ses conséquences sur les populations d’orang-outans, Green de Patrick Rouxel (2009) aurait ainsi contribué à la prise de conscience autour de l’huile de palme. « Ce genre de films, quand ça fait un peu un buzz, permet aux associations de protection de la nature de s’en emparer pour sensibiliser les politiques », souligne Maxence Lamoureux.

« Apprendre à regarder le vivant » 

Céline Bouquet craint cependant que l’on finisse par « s’habituer aux images choquantes » de la destruction du vivant, à l’instar des animaux carbonisés dans les feux de forêt. Alors certains explorent aussi en images des pistes pour soigner cette biodiversité fragilisée. C’est le parti pris, entre autres, par le reportage Geo Les Vautours sont de retour (2017) qui documente l’action d’ornithologues engagés dans le Vercors et le Verdon pour réintroduire ces rapaces qui avaient failli être décimés. Réalisateur de la Vallée des loups (2017), dans lequel il part à la rencontre de ces canidés – dont la protection fait débat – en France, Jean-Michel Bertrand voit quant à lui dans son travail « un plaidoyer pour le sauvage » : « Est-ce qu’on veut une "nature gérée" ou est-ce qu’on est capables, dans nos sociétés, de vivre avec le sauvage ? », a-t-il lancé sur le plateau de Franceinfo.    

La Panthère des Neiges de Marie Amiguet de Vincent Munier (2021)

Car c’est bien notre relation à la faune qui mériterait d’être davantage décortiquée par ces productions. Et ça commence, pour Céline Bouquet, par « transmettre l’idée d’apprendre à regarder le vivant ». Pourquoi pas en y infusant davantage de poésie et d’intimité, comme le fait à ses yeux La Panthère des neiges (2021), où l’on suit le photographe animalier Vincent Munier et l’écrivain Sylvain Tesson dans leur longue et patiente quête du félin qui rôde dans les hauteurs du Tibet, ponctuée de conversations sur leur rapport aux créatures qui les entourent. « Le fait qu’un intellectuel s’intéresse à l’observation des animaux montre à quel point ça peut être autre chose qu’un loisir pour gentil écolo ou pour enfants. Ce film témoigne de l’évolution de la prise de conscience que la nature autour de nous est un sujet auquel il faut réfléchir, dans notre relation à l’animal et au sauvage », commente de son côté Maxence Lamoureux. Histoire de faire de la nature autre chose qu’un support de divertissement.

Sophie Kloetzli
Journaliste indépendante, Sophie écrit sur la crise écologique, la transition énergétique et les technologies.
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