Élément Perturbateur : la seconde vie des bouées plastiques

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màj en août 2024

À première vue, on ne voit pas forcément comment une bouée Aqualand dégonflée peut devenir une sacoche branchée. Mais c’est sans compter les miracles qui prennent forme quand on mélange écologie et créativité.

Élément Perturbateur, marque d’upcycling créée par la designeuse Laetitia Héritier et basée à Marseille, illustre bien ce constat. Depuis 2018, Laetitia récupère des textiles nautiques pour en faire des cabas, des bananes ou des trousses, et lutter ainsi contre la pollution dans la région. Nous l’avons rencontrée pour échanger sur son processus créatif et son engagement.

© Élément Perturbateur

Même pour de l’upcycling, votre projet est atypique grâce aux matières que vous travaillez. Comment avez-vous eu l’idée de récupérer des bouées pour les transformer ? 

Laetitia Héritier : Avant Élément Perturbateur, je travaillais déjà plein de matières différentes liées aux bateaux : chambres à air, voiles, bouées de particuliers… Un jour, j'étais à Marseille sur la plage du Prado et le drapeau était violet pour pollution maximum, j’ai donc décidé d’aller plutôt au parc aquatique Aqualand, où j’ai remarqué ces bouées crevées qui traînaient partout. Toute la journée en faisant la queue, je réfléchissais à ce qu’on pourrait en faire. Je suis allée en parler à la direction qui m’en a donné quelques-unes pour voir. J’ai fait mes tests, et à partir de là, je me suis mise à en récolter plusieurs tonnes chaque année, notamment provenant de l’Aqualand de Fréjus. Certaines années, je récupère jusqu’à une centaine de bouées.

Il y a énormément de matériaux disponibles pour être upcyclés dans le domaine nautique. D'après vous, c’est une situation propre à la région de Marseille étant donné sa proximité avec la mer ? 

L. H. : Pas forcément, mais c’est vrai qu’en habitant à Marseille, on voit facilement le lien entre la consommation de produits nautiques, ces matières plastiques qui polluent à mort, et l’inaction flagrante face à ce souci. Aqualand par exemple, même s'ils me donnent désormais une partie de leur stock, continuent à jeter beaucoup de bouées usées. Et ils ouvrent aussi régulièrement des attractions qui demandent toujours plus de bouées. À Saint-Cyr-sur-Mer, elles sont réparées deux ou trois fois dans un atelier, mais ça n’est pas le cas partout. 

© Élément Perturbateur

C’est un enjeu d’autant plus important que toute pollution plastique finit par se détériorer en microfibres, arriver dans l’eau et affecter l’ensemble de l’environnement jusqu’à nous…

L. H. : Déjà, quand on voit que pendant les fortes pluies, les eaux usées de la station d’épuration souterraine sont rejetées dans la calanque de Cortiou sans traitement… J’essaye de ne pas trop y penser en me disant que je fais le colibri, que je fais ma part. Mon but, c’est d’éveiller les consciences et que des gens qui n'ont pas du tout d'intérêt pour l’écologie puissent se dire un jour : « Tiens, il me reste une bouée, je vais la donner à Laeti. »

Ça vous permet aussi d’amener de la joie et de la créativité dans vos questionnements écologiques.

L. H. : Complètement ! Et puis avec les bouées Aqualand, ça permet d’amener de la couleur, comparé aux chambres à air et aux voiles qui sont noires et blanches. Je suis très sensible, donc ça me tient à cœur de ne pas passer la journée à travailler sur des toiles sombres. Mais parfois, il y a des défis. Je viens de commencer un workshop avec les Apprentis d'Auteuil (une fondation catholique d'utilité publique pour les jeunes en difficulté, ndlr), et une jeune fille était très déçue parce qu’elle n’arrivait pas à faire partir certaines taches d’une de ses toiles. Ça a presque fait un drame ! 

© Élément Perturbateur

Effectivement, l’upcycling vient avec un certain nombre de contraintes techniques et créatives. Comment faites-vous pour les gérer ? 

L. H. : Pour moi, l’upcycling, c’est du lâcher prise. Il faut accepter que tu ne domines pas la matière. Tu as toute ta créativité, mais la matière vient y poser un cadre, des limites. Parfois ça sera tâché, ça va sentir le chlore, il y aura des feuilles mortes ou des araignées, ça va coller et être gras, la peinture va mettre six mois à partir… C’est ce que j’aime par dessous tout, mais ça peut aussi mettre les gens mal à l’aise. Justement, ce projet m’apporte une vision hyper libératrice car je ne peux pas tout décider. Élément Perturbateur, c’est une culture de l’humilité et de l’adaptation. Il faut accepter que la matière t’emmène. De toute façon, dans la création, il n’y a pas de zone de confort.

Globalement, comment les gens réagissent-ils à votre projet ?

L. H. : 99% de mes clients sont des gens convaincus par l’écologie, qui adorent la matière et qui tiennent à son impact. Donc en général, j’ai des retours très positifs. Les gens en achètent pour eux puis pour leurs proches : j’ai une dame qui m’a pris un sac cet hiver et qui est venue en reprendre un la semaine suivante pour sa copine ! Peu de gens sont là par dépit. Notamment pour celleux qui viennent à l’atelier, j’essaye de proposer une personnalisation si j’ai du stock et du temps. Certaines personnes peuvent aussi me ramener leur matelas gonflable, de piscine, et on fait quelque chose à partir de ça. J’ai récupéré par exemple des bouées porte-verres, et je réfléchis actuellement à ce que je vais en faire. Parce qu'Élément Perturbateur parle aussi des vacances et d’entretenir ces souvenirs-là. Donc si tu as bien vogué et fait cinquante apéros sur ton plateau gonflable, tu as le droit de vouloir l’upcycler en sac ! 

© Élément Perturbateur

Découvrez les créations d'Élément Perturbateur ici.

Claire Roussel
Claire est une journaliste indépendante spécialisée dans la mode durable et les questions féministes. Elle a collaboré avec des médias comme Tapage, Gaze, NYLON et Marie Claire et produit le podcast Couture Apparente.
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