Just Philippot : « L'essence même de mes films, c'est de créer du malaise, simplement par effet de miroir »

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màj en décembre 2024

Ses films ne laissent jamais indifférents. Avec La Nuée (2020) et Acide (2023), Just Philippot a manipulé ses propres angoisses entre réalité et fiction, pour faire parler de changement climatique dans les salles.

Just Philippot est entré dans l’univers du cinéma avec des films de genre. La Nuée (Capricci films), raconte l’histoire d’une agricultrice, maman solo, dépassée par son élevage de criquets comestibles, qui finit par la ronger – littéralement. Acide (Bonne Pioche Cinéma) est l’histoire d’un trio familial fracturé qui tente de fuir des pluies acides dévastatrices qui s’abattent sur la France. Le réalisateur, qui qualifie sa filmographie « d’étrange », n’est pourtant pas « un aficionado du film de genre ». Ni de la crise climatique, qui lui sert avant tout à transmettre des émotions.

Êtes-vous quelqu’un d’assez pessimiste dans le quotidien ?

Just Philippot : Oui et non, même si aujourd’hui peut-être plus qu’hier. Je suis pessimiste quand je vois une incapacité de plus en plus présente à réfléchir vers l’autre ou pour l’autre. Je crois à certaines valeurs que j’essaie de défendre au quotidien auprès de mes enfants. Je continue d'essayer de m'épanouir et d'épanouir ceux qui sont autour de moi. Après, pessimiste… Soit on est dans le déni soit on l’est pas. J’essaie de ne pas l’être. J’ai très peur des relations à l’eau. À chaque fois qu'on me dit : « C'est un été pourri », je réponds : « Mais non c’est le meilleur été qui soit : il pleut et c’est tant mieux. Si un jour il ne pleut pas c'est la grosse angoisse. »

« Véritablement, ça me fait flipper. Autant créer une œuvre sincère vis-à-vis de ces peurs, et je l'espère, universelle. »

Vos deux longs métrages reflètent finalement bien votre rapport aux chamboulements écologiques au quotidien ? 

J. P. : J’ai eu l’opportunité, lors d’une résidence d’écriture, de basculer dans le monde du long-métrage avec des problématiques plus environnementales que sociales. Mais j'avais besoin d'activer des problématiques sociales pour créer des histoires. À travers mon cinéma, ce que j’essaie, c'est d’aller vers l’autre, avec tous ses défauts. Et d'éviter le faux-semblant, le discours facile d’un film qui ne parlerait pas des vrais problèmes. La Nuée et Acide ont été deux façons d'aller au cœur du sujet. L’humanité ne va pas bien et l’environnement va encore plus mal. Acide, qui a été assez mal reçu, a eu de bons retours dans le monde scientifique. En novembre, à Dreux, des scientifiques m'ont dit : « C’est la première fois qu’on a un film frontal. » Je ne prends pas plaisir à me faire peur. Véritablement, ça me fait flipper. Autant créer une œuvre sincère vis-à-vis de ces peurs, et je l'espère, universelle.

Quelle est la raison d’être de vos films, à part faire peur ?

J. P. : J’aurais eu du mal à répondre à cette question avant les Assises de la Transition Écologique de Dreux, où mon film a été projeté en novembre 2023. C’était un contexte particulier pour la ville : l’été précédent, elle était à deux jours d’une coupure d’eau généralisée. À la fin de la projection, une vieille dame lève la main pour dire que mon film était horrible. Je lui ai répondu : « Madame vous m’avez fait le compliment le plus chouette, malgré vous : l’adjoint au maire qui a pris la parole a expliqué qu’on était à deux jours d’une coupure d’eau sur toute la ville. Ça, c'est la réalité. Mon histoire ce n'est que de la fiction. Mon histoire n’existe pas. Votre réalité, et notre réalité, sont à mon avis bien plus horribles que mon film, qui n'est qu'une histoire qu'on se raconte. Il est juste là pour nous faire parler. » L'essence même de mes films, c'est d'apporter du spectacle à un endroit pour faire parler. C'est créer du malaise, mais simplement par effet de miroir.

Acide, 2023

Les images de vos films donnent l'impression de déjà-vu dans la réalité, et vos œuvres peuvent provoquer des émotions indésirables. Où se situe la frontière entre réel et dystopie dans vos films ?

J. P. : Le but, c’est de se dire qu’il n’y a pas de différence. J’ai grandi avec un pied dans le bizarre, car mon grand-frère était handicapé à 99% selon la sécurité sociale. Je n'ai jamais su ce qu’il voyait ou entendait. J’ai souvent eu l’impression d’avoir eu plus de rapport avec mon chat qu'avec lui. Toute mon adolescente a donc été un grand questionnement sur l’autre. J'ai eu une relation étrange avec lui, au sens d'unique et singulière. Ce que j’ai fait dans La Nuée et dans Acide, c'est de me dire constamment : c’est une histoire vraie. La Nuée, au départ, c’était un scénario très genré. Une fille qui commençait à se transformer au contact de sa nuée, qui avait un lien presque télépathique avec ses sauterelles. C’était du alien version ruralité. Je n'y croyais pas une seule seconde. Je ne la voyais pas travailler, se donner corps et âme à une entreprise dans laquelle elle se détruisait et détruisait l'environnement de sa famille. Tout mon travail a été de déployer dans ce dôme quelque chose de concret. Oui c’est une dystopie, mais concrètement ça pourrait se passer demain. C’est mon plaisir de brouiller les pistes.

La Nuée, 2020

Qu’est-ce qu’on peut espérer faire passer au spectateur avec les ressorts de l’angoisse, du stress, de la peur ?

J. P. : Ce que j’apprécie en tant que spectateur, c’est l’émotion. La peur, l’angoisse et le thriller sont des objets de plaisir au cinéma. Mon métier, c’est de fabriquer des films et d’emmener les gens dans une salle de cinéma pour leur faire vivre un truc de façon collective. J’ai utilisé ces moyens-là pour accéder aux spectateurs. J'ai fait une série pour HBO Max (Une amie dévouée, adaptation du livre éponyme d'Alexandre Kauffmann, sortie en octobre 2024, ndlr) où on est sur de l'émotion pure. Mon mixeur m’a justement fait un résumé assez efficace d’Acide et d’Une amie dévouée : « Dans Acide on a essayé de transpercer le spectateur, et là, avec cette série, on le traverse. » Entre transpercer et traverser, il y a quelque chose de beaucoup plus doux dans le deuxième cas. C'est mon ambition de faire vivre des émotions qui ne sont pas faciles à assumer, de développer un regard complexe parce que, tout à coup, on n'évite pas les problèmes ni les défauts. À chaque fois, mon envie, c'est que les gens sortent de la projection en se sentant profondément humains et vivants.

Nicolas Beublet
Journaliste indépendant (et vélo reporter dès qu'il le peut). Nicolas parle très souvent d'écologie pour les médias Climax, Basta ou Vert. Pour Carbo, il se penche sur les moyens culturels d'en faire un sujet grand public, sans édulcorant à l'intérieur.
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