Un réveil écologique à travers l’art est-il possible ? Quelles sont les lectures, pièces, musiques, expositions qui font naître un « déclic » écologique ? Nous avons demandé à la scientifique Claire Nouvian, lauréate du prix Goldman – le Nobel de l'écologie – et fondatrice de l'association Bloom, de nous partager les œuvres qui ont suscité sa prise de conscience. Questions courtes, réponses fournies.
Bonjour Claire. Vous souvenez-vous d'un livre, ou d'un film, qui aurait enclenché votre prise de conscience écologique ?
Claire Nouvian : Une lecture du magazine PETA dans un train bondé, j’avais 18 ans, j’ai terminé en larmes. L’article racontait la ponction de bile des ours en Chine, avec des oursons capturés et mis dans une cage dont la taille ne changeait jamais. Une photo montrait l’ossature des animaux qui poussait à travers les barreaux. J’ai tellement pleuré ! Je pourrais encore aujourd’hui si j’y repense trop. C’était un texte militant.
Sinon, pour les claques culturelles, je suis dingue de théâtre. L’été, je suis une ardente festivalière du festival d'Avignon. Ces dernières éditions, j’ai adoré Yé (L’eau !) du Circus Baobab, des danses acrobatiques autour des pénuries en cours.
Et côté cinéma, je pense au Règne animal. Oh my god ! Ce film m’a poursuivie. Il est entré en moi. Il nous projette dans la perception animale de notre brutalité humaine avec une telle puissance ! Le film ne dit rien d’autre que : « nous avons détruit nos espaces naturels qui se réduisent à une peau de chagrin ». Je l’ai encore constaté il y a quelques mois dans les Asturies en Espagne lors d’affûts pour voir des ours. On les a trouvés oui mais seulement de nuit, grâce à des jumelles thermiques. Ils étaient réduits à occuper des pics rocheux sur des terrains escarpés. On voyait leurs gros derrières escalader les cailloux, obligés de se hisser avec difficulté. En les regardant, je pensais : « Rien ne va, ils devraient être dans la vallée, en train de se baigner, de chasser des poissons dans les rivières ».
Cette expérience m’a directement ramenée à LA grande claque culturelle pour moi : Alain Damasio. Ses livres Les Furtifs, La Horde du Contrevent nous projettent dans le présent que nous créons : une humanité ultra-matérialiste, centrée sur ses besoins égocentriques et irresponsables, l’expression la plus vile de l’humanité. Et de l’autre côté, ceux qui résistent à des modèles d’endormissement cérébraux et éthiques, comme dans les œuvres de Damasio. La vie des ours est celle que l’on va être amenés à avoir.
Qu’est-ce que vous aimeriez que nos dirigeants lisent, regardent ?
C. N. : Le résumé pour les décideurs du rapport du GIEC, ne serait-ce que les deux premières pages. J’en viens à penser qu’ils ne le consultent pas. Ils vont de réunions en réunions avec des gens qui leur disent « il faut faire ci, il faut faire ça », les lobbies qui appellent, et ils font leur politique publique comme ça. Si tu prends le temps de lire le résumé pour les décideurs du rapport du GIEC, tu n’es plus la même personne après.
Il y a un problème de déconnexion, d’immoralité de la part de leur part et de celleux qui détiennent le pouvoir. Les sciences sociales sont là pour nous éclairer sur l'incompétence émotionnelle et éthique de celleux que j’appelle « les riches ». Et ce sont précisément eux qui dirigent le monde, les moins « compétents » ! Là tu te dis, il y a un problème, comment sortir de cette équation ? Donc finalement, je crois que ce qui me chamboule le plus est le fait de lire les rapports du GIEC et les rapports scientifiques en général. Récemment, j’ai étudié celui du Forum de Davos, le Risk assessment, à destination des assureurs. Quand je vois ces personnes-là dire qu’elles ne seront bientôt plus en mesure d’assurer certains risques, car le monde actuel n’est plus assurable, le sens en filigrane me plonge dans des états dépressifs. Mais je me soigne en étant dans l’action avec les équipes de choc de Bloom !
Que peuvent l’art et la culture dans la prise de conscience de la crise ?
C. N. : Je n’ai pas envie d’isoler le rôle de la culture. Nous sommes des êtres de culture. Nous sommes des êtres de récits, on se raconte des histoires depuis l'époque où l'on s'est mis sur deux pattes en dessinant sur des murs en pierre. Ce que je trouve fantastique est de créer des endroits comme le festival Atmosphère dont je suis la marraine pour l'édition 2024 (aux côtés de l’acteur engagé Swann Arlaud, ndlr). Sa programmation n’a pas encore été dévoilée mais regardez celle des années précédentes, elle fait un exercice très particulier : sélectionner des œuvres culturelles variées, certaines très niches, d’autres plus mainstream, faites pour cartonner d’un point de vue commercial.
Atmosphère propose ces choix à un large public – puisque le festival est gratuit – et surtout il génère des débats autour des œuvres. L’équipe organisatrice a réalisé une étude d’impact pour savoir comment les contenus proposés influencent les comportement des spectateurs·ices. Les résultats sont édifiants. Deux personnes sur trois disent penser changer leurs habitudes après être allé au festival et une personne sur deux affirme avoir déjà changé ses habitudes en réaction à ce qu’ils avaient vu ou entendu. C’est formidable ! Exactement ce qu’un festival bien pensé devrait réussir à faire. Chapeau.
Crédits photo de couverture : Festival Atmosphère 2024, Josué Pichot