Noël : quand l'art déballe nos ambivalences

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màj en décembre 2022

Pour l’artiste sculpteur Florian Mermin, nos rapports aux sapins de noël et aux araignées sont représentatifs de notre rapport toxique à la nature. Décryptage de ces deux figures si souvent présentes dans ses œuvres.

27 euros : c’est le prix moyen que dépensent les 5 millions de foyers français qui achètent chaque année un sapin de Noël naturel. Issus pour la plupart de cultures produites dans le Morvan, la Corrèze, le Limousin, le Jura et les Ardennes, ces résineux qui fleurent bon la magie de Noël poussent tranquillement pendant 5 à 12 ans avant d’arriver dans nos foyers, où ils éliront domicile durant 4 à 5 semaines. Par la suite, différentes fins de vie s’offrent à eux : se voir récupérés par des professionnels pour être transformé en broyat et tapisser les sols des végétaux urbains, ou bien rejoindre la joyeuse communauté des déchets destinés à l’incinération — option annulant le bénéfice du CO2 stocké durant sa croissance. 

Les sapins utilisés dans les multiples œuvres de Florian Mermin auraient probablement connu ce triste dénouement s’ils n’avaient pas été sauvés du trottoir par l’artiste par d’heureux jours de janvier, où il était particulièrement sensible à la dévaluation brutale que connaissent les arbres emblématiques une fois les fêtes terminées. « J’ai un rapport de compassion avec les sapins : voir ces matériaux vivants passer de la vénération au rejet pour finir par choir sur les trottoirs, ça me donne envie de les transformer » explique t-il. 

Le sapin féérique se voit transformé en une immense araignée, objet de hantise de tant d’humains

Selon lui, ce rejet sans pitié viendrait du fait que les humains ont du mal à percevoir la vie dans les végétaux : nous ne partageons pas la même temporalité, et le lent mouvement de croissance des sapins rend leur évolution imperceptible à l'œil nu, et les rend semblables à des statues. Une perception que Florian Mermin a réussi à dépasser lorsqu’il était enfant, grâce à l’observation méticuleuse d’une fleur d'hibiscus qui s’ouvrait le jour et se refermait la nuit. « Voir les étapes de transformation d'une même vie m'a toujours fasciné, confie t-il. Pour moi, ça a quelque chose de magique ! Depuis, j’essaie d’accorder la même valeur aux végétaux selon le stade de leur vie ».

Vue de l'exposition Caresse de forêt (le soir ou tu m'as quitté) de Florian Mermin, Backslash, Paris © Grégory Copitet

Donner une deuxième vie à un matériau destiné à la poubelle, c’est a priori une initiative louable. Mais pour le sculpteur, la démarche n’est pas uniquement motivée par un élan écolo : cette métamorphose doit être significative de ce rejet violent dont sont victimes certains êtres vivants de la part de l’espèce humaine. Dans la pièce Songe d’Hiver actuellement exposée au MAIF Social Club, c’est comme si l’on passait du rêve au cauchemar : le sapin féérique se voit transformé en une immense araignée, objet de hantise de tant d’humains. Les rares épines subsistant sur les branches évoquent la pilosité de ces bestioles, et le bois autrefois si séduisant devient instinctivement repoussant. « Sous la forme de l’araignée, le matériau du sapin joue à la lisière de plusieurs perceptions et émotions différentes. Cette ambivalence me semble représentative de notre rapport à la nature et aux êtres vivants qui nous entourent », partage l’artiste. 

« J’ai un rapport de compassion avec les sapins : voir ces matériaux vivants passer de la vénération au rejet pour finir par choir sur les trottoirs, ça me donne envie de les transformer »

Songe d'hiver, Vue de l'exposition Le Jardin des Lys (nos chemins partagés), de Florian Mermin, 2021, Backslash, Paris © Jérome Michel

Pourquoi les araignées nourrissent-elles tant de frayeurs, tandis que les coccinelles et les libellules ont droit à nos regards attendris ? Pourquoi couper un arbre et lui faire un accueil cérémonieux, si c’est pour l’abandonner dans la rue quelques semaines plus tard ? Ces perceptions inconscientes si ancrées dans notre société parlent de nos imaginaires collectifs, et fascinent Florian Mermin. « Je suis toujours très étonné de la peur que véhiculent les araignées, alors même qu’on cohabite avec elles depuis la nuit des temps. C'est comme si on avait cassé le lien qui nous lie à elles », déplore t-il. 

Sur 45 000 espèces d’araignées recensées dans le monde, seules une quinzaine sont réellement dangereuses pour les humains, et leurs morsures sont toujours défensives.

Friandes d’insectes de tailles variées, ces petits êtres incompris tiennent un rôle indispensable pour la bien portance de notre écosystème, et protègent nos maisons de nombreux petits indésirables. Sur 45 000 espèces d’araignées recensées dans le monde, seules une quinzaine sont réellement dangereuses pour les humains, et leurs morsures sont toujours défensives. Et en régulant le petit monde des insectes, qui compose 55 % de la biodiversité, elles participent à la bonne santé des forêts, notamment en aidant à la décomposition de la matière organique et à sa transformation en humus forestier. En prenant la forme de l’araignée, c’est donc comme si les sapins déchus prenaient leur revanche, et se chargeaient eux-même de rassembler les conditions propres à leur transformation pour rééquilibrer l’écosystème mis à mal par la monoculture des conifères à courte durée de vie.  

Disparaître dans la forêt, 2019 © Florian Mermin

Cette impitoyable métamorphose force par ailleurs le public à faire face à l’araignée. « Peut-être que si on les observait davantage, on les comprendrait mieux ? », suggère l’artiste. Bien que lui-même ne soit pas très à l’aise avec ces créatures à huit pattes, ce n’est pas la première fois que l’une d’elles apparaît dans ses œuvres à cheval entre romantique et fantastique, comme si les mains sculptrices de Florian Mermin cherchaient à convaincre son esprit que ses représentations négatives d’une partie des êtres de la nature sont insensées. Un changement de regard qu’on ne serait pas mécontents de voir accompagner la magie de Noël. 

En prenant la forme de l’araignée, c’est donc comme si les sapins déchus prenaient leur revanche

→ Songe d’hiver est exposée au MAIF Social Club à Paris dans le cadre de l’exposition Le Chant des Forêts, jusqu’au 22 juillet 2023.

Photo à la Une : Minimal Odorant, 2021 © Backslash

Mathilde Simon
Mathilde est journaliste spécialisée sur les problématiques environnementales, les sujets artistiques et l'impact du numérique sur la société, le tout sous un angle résolument optimiste.
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