« Protest tattoos » : le militantisme dans le sang 

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màj en mars 2024
Personne en train de tatouer un animal sur le bras d'une autre dans le cadre de l'opération Extinct Ink de Sea Shepeard

Et si le tatouage devenait une nouvelle manière de militer ? Depuis quelques années, les activistes écologiques font du marquage sous-cutané une manière créative, intime et politique de marquer leur engagement.. Des tatouages d'hommage, de colère, de revendication, ou de célébration.

La mémoire dans la peau

Un cormoran de Pallas, une otarie du Japon ou encore un dauphin de Chine. Voilà le type d’animaux marins que l’ONG de défense des océans Sea Shepherd invitait à inscrire sur sa peau en octobre 2022. Leur particularité ? Tous sont éteints : victimes de la pêche, de la pollution ou encore de la dégradation de leur habitat naturel. Le tatouage les sort de l’oubli, les ressuscite sur la peau des tatoués. Sur le poignet, le mollet, le cou, peu importe – tant qu’ils sont visibles. Comme l’explique l'ONG sur la page de cette campagne baptisée #ExtinctInk (mot valise composé de extinct, éteint et ink, l'encre), l’idée de cette campagne est d’utiliser la peau humaine comme « espace médiatique » afin d’« engager la conversation ». En 2009 déjà, un projet similaire, Extinked, voyait 100 personnes se faire tatouer autant d’espèces britanniques en voie d’extinction différentes à l’occasion d’une performance artistique à Salford, en Angleterre. 

Avec ce type de tatouage, qui incarne une « forme radicale d’engagement », l’histoire du tatouage semble être à un « tournant », relève la socio-anthropologue Elise Müller, autrice d’une Anthropologie du tatouage contemporain (2013). « On passe d’un tatouage identitaire et individuel à une pratique collective. » 

La colère dans la peau

Cette démarche porte un nom : le « protest tattoo ». Et elle se veut aussi artistique que politique. En 2015, une trentaine d’activistes avaient occupé la galerie londonienne Tate Britain pour protester contre le mécénat de la compagnie pétrolière BP… en se faisant tatouer le taux de concentration de CO₂ dans l’atmosphère l’année de leur naissance, en ppm (parties par million). 

Une mère de famille (jamais tatouée auparavant) racontait alors au journal The Guardian avoir sauté le pas en raison de son « inquiétude profonde vis-à-vis du changement climatique ». Pour l’une des militantes parée de sa « marque de naissance » (birthmark) climatique, ce tatouage l’engage aussi à « considérer les conséquences environnementales de [ses] actes et à reconnaître la nature largement irréversible de notre impact sur la planète », comme elle le précise elle-même sur son compte Instagram.

À travers le tatouage, la science climatique trouve ainsi de nouveaux modes d’expression. Comme sur les bras de l’artiste new-yorkais Justin Brice, sur lesquels serpentent de fines lignes. Leur signification ? À gauche, l’évolution du taux de CO₂ dans l’atmosphère au cours des 650 000 dernières années ; à droite, la hausse des températures moyennes depuis 1880. Le tatouage a été réalisé en 2016, le jour où le Congrès géologique international a acté l’entrée dans une nouvelle ère géologique : l’Anthropocène. « Cette décision aurait dû sur toutes les Unes de journaux. Le New York Times ne l’a mis nulle part. Ça m’a choqué », avait-il indiqué au média Fast Company. Un souvenir marquant, au sens propre.

La provocation dans la peau

La dimension protestataire du tatouage n’est pas neuve, loin de là, explique Emma Viguier, maîtresse de conférences en arts plastiques, théories de l’art et esthétique. À la fin du 17e siècle, le Code noir de Colbert institue par exemple le marquage corporel des esclaves d’une fleur de lys : « À cette époque là, certains individus, par revendication, certainement par provocation aussi, choisisse délibérément de se faire tatouer ce symbole pour défier le pouvoir politique. » Aujourd’hui, il s’agit avant tout de s’engager de tout son corps dans des luttes. La montée de la thématique écologique dans le tatouage, dont la pratique s’est largement démocratisée, traduit à ses yeux un sentiment d’« urgence ». « Agir sur son corps, c’est prendre un certain contrôle, se réapproprier sa propre peau tout en faisant front à ce qui nous oppresse », indique-t-elle en soulignant les vertus « thérapeutiques » d’une démarche à la croisée de la « souffrance » et de la « résistance ».

Le tatouage pratiqué au sein des luttes véganes l’illustre bien. Le numéro « 269 », en référence à un veau sauvé de l’abattoir en Israël en 2013, est devenu un classique. Dénonçant les conditions d’élevage et d’abattage dans l’industrie de la viande, certains activistes antispécistes étaient allés jusqu’à se faire marquer la peau du chiffre 269 au fer rouge par solidarité avec les animaux.

Photo Instagram de l’activiste italien Alfredo Meschi qui a recouvert son corps de 40 000 petites croix en hommage au nombre d’animaux tués chaque seconde dans le monde.

L’activiste italien Alfredo Meschi, lui, a recouvert son corps de 40 000 petites croix en hommage au nombre d’animaux tués chaque seconde dans le monde. « Nous vivons dans une société amnésique, comme si notre conscience des injustices, notre compassion et notre empathie étaient un robinet qui s’ouvrait et s’éteignait. Au début de ma carrière dans le militantisme, j'ai cherché un moyen de résister à une telle amnésie », a-t-il confié au média Café Babel. Une manière de rester dans l’urgence, 24 heures sur 24.

La nature dans la peau

À travers le tatouage, un lien intime et organique se tisse avec les images, les chiffres, les symboles gravés. L’artiste Lydie Jean-Dit-Pannel en sait quelque chose : son corps orné d’une cinquantaine de papillons monarques – eux aussi menacés d’extinction – qu’elle photographie devant des sites toxiques lui a valu le surnom de la « Dame Papillon ». « Dans le sillon de la figure du papillon monarque, je dis mon désir d’amour et de voyage, comme ma déception face à une humanité qui court à sa perte », expose sur son site web cette farouche défenseuse du vivant.

Reste que la version la plus mainstream du tatouage écolo est sans doute le végétal, qui se répand de plus en plus sur les corps, observe Emma Viguier. « Ce n’est pas forcément en lien avec un activisme à proprement parler, mais la peau qui expose du végétal dit quand même quelque chose, à savoir que le corps, c’est la nature, et qu’il est composé de la même matière. Qu’il y a une union indéniable et primaire entre les deux, dont il faudrait peut-être se rappeler. » 

Sophie Kloetzli
Journaliste indépendante, Sophie écrit sur la crise écologique, la transition énergétique et les technologies.
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