Le sport, un loisir sans conséquences sur l’environnement et que l’on ferait mieux de ne pas trop remettre en question ? Au contraire, l’équipe derrière le nouveau podcast Vent Debout veut interroger les facettes politiques, écologiques et sociales du sport. Et montrer que d’autres pratiques sont possibles. Nous avons échangé avec Clothilde Sauvages, moitié du binôme qui compose les navigateurs de Vent Debout, pour en savoir plus.
Course aux médailles et aux sommets, élitisme, burn-out, pollution induite par les déplacements et l’organisation d’évènements toujours plus monumentaux… Le sport doit-il changer de culture ?
Clothilde Sauvages : C’est évident, mais cela concerne surtout le sport de haut niveau, celui qui est mis en avant dans les médias. Aujourd’hui, on constate les limites de cette culture, qui se craquelle de plus en plus. Récemment, on a vu le scandale du baiser forcé à la fin de la coupe de monde de football féminin, la navigatrice lâchée par la Banque Populaire parce qu’elle venait d’avoir un enfant, le burn-out de Simon Biles aux Jeux olympiques de Tokyo… À l’approche des Jeux olympiques de Paris, on entend des athlètes dire “on peut avoir des rêves de médailles, mais combien d’entre nous vivent en dessous du seuil de pauvreté ?” Cela écorne l’image du sport de haut niveau que l’on imagine comme quelque chose d’équitable.
En ce qui concerne l’écologie, le secteur du sport à énormément de retard, notamment si on compare au secteur culturel qui s’est plus approprié le sujet. On a peu de données sur l’impact du sport sur le réchauffement climatique et vice-versa : j’ai l’impression que les gens n’ont pas conscience des conséquences que ce dernier va avoir sur nos pratiques sportives - or elles seront monstrueuses.
Ce qui dessert le sport, c’est qu’il est vu comme un loisir, quelque chose de pas sérieux. Quand Emmanuel Macron déclare « il ne faut pas politiser le sport », ça revient à dire : c’est l’ultime bastion du divertissement, ne venez pas nous emmerder avec ça.
Avec Vent Debout, on a voulu s’opposer à cette vision : le sport est un fait social total, et on ne peut pas se permettre de croire qu’il n’a pas d’impact. Il est possible de questionner le sport et de faire les choses différemment.
Chaque épisode commence par une excursion en nature avec un.e athlète, avant de rejoindre un.e chercheur·se dans le studio. Pourquoi était-ce important d’associer la pratique et la théorie, l’extérieur et l’intérieur ?
C. S. : On voulait créer des ponts entre des sphères qui se parlent peu. Il n’y a pas d’un côté les sportifs qui se limitent à leur corps et les chercheurs à leur esprit. Les sportifs aussi ont des choses à dire !
Dans le premier épisode, Yamina Saheb, co-rédactrice du 6e rapport du GIEC, indique que le sport est absent du rapport du GIEC, qui est une synthèse de la recherche existante. Ainsi, le lien entre climat et sport n’apparait pas, ou bien de façon indirecte, alors que c’est une industrie qui compte énormément dans la balance.
Sur la dimension intérieur/extérieur, c’était un choix artistique. On espérait passer un moment privilégié avec les sportifs, et cela suppose de passer du temps avec eux. J’ai écouté beaucoup de podcasts pour préparer Vent Debout, et j’ai constaté que ceux qui me marquent sont ceux qui m’emmènent quelque part, comme LSD ou Silence Podcast. On ne voulait pas faire un talk show mais donner à vivre quelque chose.
Vent Debout s’intéresse aux pratiques sportives en pleine nature. Comment concilier protection de ces espaces et activité humaine ludique ?
C. S. : À titre personnel, je suis une fan de sports en plein air, comme Sylvain Paley, le co-créateur de Vent Debout. On est donc convaincus que passer du temps dans la nature peut amener les gens à se poser des questions - pour qui souhaite regarder. Encore faut-il que cela soit fait de manière raisonnée, et ce n’est pas toujours le cas.
Les actions humaines ont un impact sur la nature. Les années Covid ont vu plus de personnes s’essayer au ski de randonnée, hors des pistes, et des études ont montré que cela avait perturbé la biodiversité. On en parle dans l’épisode sur le tourisme avec le chercheur Rémy Knafou. Il considère qu’il faut maintenir des zones préservées, sans influence humaine - or ce sont les adeptes de sports extrêmes comme l’alpinisme et le canyoning qui explorent actuellement des espaces vierges.
Nous ne disons pas qu’il ne faut plus pratiquer le sport en pleine nature, mais qu’il faut que l’on prenne conscience de notre présence dans ces milieux fragiles. Trop de gens voient la nature comme leur “terrain de jeu”.
Vous êtes une ancienne championne de France de tumbling [un sport de gymnastique acrobatique ndlr]. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer derrière le micro pour réfléchir au futur du sport ?
C. S. : Au moment où j’ai arrêté la compétition en tumbling, j’ai voulu me créer une identité propre. J’ai intégré le collectif Ouishare et je gardais sous silence mon passé de sportive, j’avais l’impression d’être passé de l’autre côté, celui des « intellectuels ».
Le déclic n’a donc pas été ma carrière en gymnastique, mais ma trajectoire en wakeboard. Je le pratiquais en loisir depuis quelques années, et j’ai commencé la compétition en 2019/2020. Et là j’ai été confrontée à un paradoxe : j’ai pris des engagements écologiques forts dans ma vie, mais je pratique un sport où on est tracté par un bateau qui consomme des énergies fossiles. Le wakeboard est un sport de niche, et je ne suis pas le futur de la discipline. En faisant ce podcast, je voulais utiliser mes compétences en interview et gestion de projet pour porter le discours des sportifs et contribuer à transformer ce milieu.
Peut-on et doit-on dépasser la notion de compétition pour faire évoluer le sport ?
C. S. : Ce qui est sûr, c’est qu’en se focalisant sur la compétition, on oublie ce qui fait la pluralité du sport : on ne parle pas des éducateurs sportifs, du sport au service d’autres problématiques sociales. Le sport a un impact positif évident sur la santé, il peut permettre d’inculquer de nombreuses valeurs, mais cela ne passe pas nécessairement par la compétition. La compétition organisée dans le cadre des grandes rencontres actuelles est obsolète, et je suis la première à rejeter la notion de compétition qu’on nous présente dans la société et dans l’entreprise, où il faut écraser les autres.
Mais j’adore la compétition en tant que telle ! Quand j’ai fait ma première compétition de wakeboard, j’avais la banane, je me suis rendu compte à quel point ça m’avait manqué. C’est un événement où je dois être à mon maximum physique et psychique, où je côtoie des gens d’autres univers… Ce sont des moments de joie profonde.
Un sport respectueux du vivant (et des pratiquants !) le voyez-vous déjà advenir ? Se développe-t-il loin des projecteurs ?
C. S. : Avec les Jeux olympiques et paralympiques à venir, j’ai l’impression que l’on parle de plus en plus de sport. On sent que nous sommes nombreux à vouloir porter un autre discours, faire évoluer les sponsors, montrer que l’on peut faire les choses différemment.
Je pense à l’association Protect Our Winters qui a lancé une tribune pour demander à la fédération internationale de ski de changer les dates de compétition, aux Green Runners qui se sont opposés au partenariat entre l’Ultra-Trail du Mont-Blanc et le constructeur automobile Dacia, à Marcus Rashford, footballeur anglais qui a fait plier le gouvernement sur l’aide alimentaire auprès des jeunes, à Stanislas Thuret, navigateur qui déclare arrêter la course au large…
On est loin d’avoir fait le tour du sujet - on compte bien faire une saison 2 !
Vous pouvez écouter Vent Debout ici et sur toutes les plateformes de podcast. Vent Debout est un podcast indépendant soutenu par l’IGN.
Crédits de la photo de couverture : Vent Debout Podcast - Le podcast qui remet le sport à sa place politique - 2023