Valentine Zeler : incendies, solastalgie et photographie

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màj en août 2024

En 2023, Valentine Zeler, photographe spécialisée dans le photo-reportage et amoureuse de la montagne, est partie dans les Vosges à la rencontre des habitants·es de cette région, touchée de manière assez exceptionnelle ces dernières années par des feux de forêts ravageurs. Il y a Jean-Paul, le producteur de miel, Rémi, le récolteur de graines, Monik, avec un K, sculptrice sur bois... Cela donne une série photographique, intitulée « Nos paysages intérieurs » qui mêle images et témoignages sonores pour aborder la solastalgie et nous alerter sur les changements irréversibles déjà en cours dans nos environnements familiers.

« Ce projet documentaire a pour objectif de faire prendre conscience aux gens du tournant dans lequel nous nous trouvons. Je suis convaincue que les artistes ont leur rôle à jouer dans la prise de conscience du dérèglement climatique et que leur travail peut se lier à celui des scientifiques, non plus pour alerter, mais aujourd’hui, pour changer notre rapport au monde et imaginer celui de demain ! J’espère que ce travail vous permettra d’aller à la rencontre de vos paysages intérieurs. » 

Valentine Zeler sur son site

Peux-tu nous raconter l’objectif derrière ta série Nos paysages intérieurs ?

Valentine Zeler : En 2023, je suis partie dans les Vosges pendant un peu plus d’une semaine. Je suis restée aux alentours de Gérardmer et je suis allée rendre visite à une douzaine de personnes pour savoir ce qu’elles pensaient du dérèglement climatique. Est-ce que ça les impacte au quotidien ? Est-ce qu’elles en voient les effets ? Comment le vivent-elles ? Qu’est-ce que cela fait de voir son paysage quotidien changer ? C’est un peu de la solastalgie, mais qui n’est pas nommée. 

Pourquoi ce titre « Paysages intérieurs » ? 

V. Z : Je voulais savoir comment les gens vivent le bouleversement de voir leur paysage changer. Réfléchir à nos paysages intérieurs. Mon paysage à moi, en ce moment, il vit beaucoup d’éco-anxiété, il n’est pas bien, il est un peu fissuré de partout, il ne sait pas bien où aller. Il y a un paysage extérieur, et puis il y a notre paysage à nous, à l'intérieur, qui est en plein mouvement actuellement.

© Valentine Zeler

Pourquoi les Vosges ? 

V. Z. : Ça m'intéressait vraiment de savoir s'il y a déjà des effets du dérèglement climatique que l’on peut observer concrètement dans les Vosges. L’année dernière, cette région que l’on décrit pourtant comme humide, où l’on dit souvent qu’on ne peut aller qu’avec des bottes, a connu ses premiers feux de forêts. Cela a choqué énormément de personnes car les feux de forêts n’arrivent pas normalement dans ce type de forêts humides. Le paysage se modifie. Les épicéas, qui représentent une bonne partie de la flore des Vosges aujourd’hui, sont en train de mourir sur place, mangés par le scolyte, ce qui est dû aussi à la chaleur. Ils n’arrivent plus à se défendre, ils n’ont plus les ressources et se laissent mourir petit à petit… C’est assez effrayant de voir la tournure que ça prend dans ces montagnes !

© Valentine Zeler

Comment ce projet photographique est-il né ?

V. Z. : Les Vosges, c’est l’endroit où j'aimerais vivre, ce sont des montagnes qui m’intéressent beaucoup. Personnellement je suis très éco-anxieuse, et j’ai de plus en plus de mal à gérer mon éco-anxiété, comme beaucoup de jeunes aujourd’hui. Je voulais donc imaginer un projet qui puisse parler un peu à tout le monde et qui puisse avoir un impact réel. Dans ma famille, ils ne ressentent pas cette éco-anxiété, ils ne voient pas forcément que le monde change, ils sont un peu à l’ouest. Je voulais donc réaliser un projet qui puisse leur montrer ce qu’est le dérèglement climatique, leur dire qu’aujourd’hui il y a déjà des conséquences visibles, que ça n'est pas dans vingt ou dans trente ans, que les choses sont bien en train de changer. Je voulais réaliser un projet percutant qui donne la parole directement aux personnes concernées à travers des audios. Je voulais mettre leurs paroles en avant plutôt que la mienne de petite citadine, que ces personnes puissent parler librement de ce qu’elles ressentent. Je voulais intégrer cette double dimension.

Justement, peux-tu nous parler un peu plus de ce choix de mêler les formats, entre la photo et les audios ? 

V. Z. : La plupart de mes projets sont multimédias. Cela permet de toucher à différentes sensibilités. Souvent, je trouve que les photos seules ne suffisent pas. S'il n’y avait que ces paysages cramés à moitié avec des portraits, ça ne serait pas aussi parlant qu’avec un peu de son, un peu d’écrit. Cela vient toujours en complément de la photo, il faut toujours une légende, un texte à côté. Le sonore permet de s'immerger dans une ambiance, ou d’avoir une vraie conversation avec une personne. Ici, je voulais juste poser quelques questions et puis laisser les personnes parler de ce qu’elles voulaient ensuite. Les interviews durent parfois jusqu’à une heure, donc j’ai voulu n’en garder que l’essentiel parce que je sais que le temps est aussi très précieux. J’ai condensé ce qui me paraissait le plus important de chaque personne, tout en tenant à côté un carnet de bord émotionnel sur mes apprentissages. Certaines choses qui ne sont pas dites dans les interviews sont dans le carnet de bord. Cela permet de créer cette double dimension à la fois journalistique et émotionnelle, ce qui offre la possibilité de toucher différents publics. Certain·es vont plus se retrouver dans mes mots alors que d’autres vont plus écouter la voix des spécialistes, comme le ramasseur de graines, les herboristes, ou des habitant·es des Vosges qui sont témoins de cette évolution.

© Valentine Zeler

Tu n’as eu aucun mal à faire parler ces différentes personnes du sujet du dérèglement climatique ?

V. Z. : Au contraire, j’ai senti qu’ils avaient tous quelque chose à dire ! Par exemple, au départ les deux herboristes me disaient qu'ils n’avaient rien à raconter. Alors j’ai insisté, en leur disant qu’on avait tous·tes quelque chose à dire sur le dérèglement climatique et eux encore plus que nous dans nos villes de béton. Je me suis rendu compte que les gens n’osaient pas toujours parler de ce sujet. Finalement, leur discours était passionnant, ils ont notamment beaucoup de plantes qui ont brûlé. Sur une trentaine, ils n’ont pu en conserver que deux. Ce genre de témoignage est très important pour moi. C’est un peu comme si l’on était obligé de prouver avec des gens sur place, des audios, de la photo, qu’il y a un dérèglement climatique.

Certains ont pris ce sujet de manière plus scientifique et détachée, d’autres ont exprimé leur ressenti de manière très personnelle. Une herboriste m’a dit que de voir les thyms recroquevillés lui avait « tordu les boyaux ». Il y avait des profils très variés, de générations variées, certains plus inclus dans la société, d’autres plus marginaux. Une sculptrice sur bois, qui vivait un peu en dehors, me racontait par exemple qu’elle avait été alertée par le Club de Rome, et avait été très étonnée que personne d’autre ne le soit autour d’elle. On ne parle même pas des rapports du GIEC, elle était donc très en avance sur son temps et on voit à quel point les gens ne voulaient déjà pas voir ce qui se passait. Je voulais, à sa petite échelle, que ce projet arrive en complément de rapports scientifiques.

© Valentine Zeler

On a les rapports du GIEC, on a le point de vue scientifique mais on a rarement, à part le nôtre, de points de vue personnel. Le point de vue d’autres personnes qui racontent les impacts du réchauffement climatique dont elles sont témoins et victimes.

© Valentine Zeler

Peux-tu nous parler de l’esthétique de tes photos et de ce qu’elle raconte ? 

V. Z. : C’est vrai que je me suis posée beaucoup de questions à propos du rendu, car à moins de me rendre vraiment dans la forêt qui a brûlé, l’impact ne se voyait pas directement. Je me suis dit qu’il s’était passé un événement majeur qui a été un tournant dans les Vosges, le feu de forêt, alors j’ai eu envie de l’intégrer à mes paysages, en les rendant très sombres. Cette couleur sombre pour moi c’est le vieux monde en train de disparaître et il y en a un nouveau qui va renaître qu’on ne connaît pas encore. J’ai voulu prendre des paysages assez larges avec des arbres qui flambent. Dans une interview, quelqu’un dit que nos vrais dieux et nos seuls dieux, ce sont les arbres, et que si eux meurent, c’est qu’on a de vrais soucis à se faire. Je trouve ça très juste. 

Entretien avec Serge
© Valentine Zeler

Que voulais-tu transmettre au public en réalisant ce projet photographique ?

V. Z. : Je souhaitais aider à une certaine prise de conscience et donner des clefs de compréhension. Il y a énormément de choses que j’ai compris grâce aux personnes qui se sont confiées dans le projet et dont je parle dans mes notes écrites. Je voulais vraiment transmettre par l’écrit ces états d’âme, parce que je pense qu’on est nombreux à les partager et à se sentir pourtant très solitaires. On n’est pas seuls, on est des milliers dans nos petites bulles. Et je pense qu’on peut se reconnaître dans mes mots et dans ces maux. Ça reste un projet sombre, qui ne rendra pas forcément les gens joyeux, mais qui pourra j’espère les aider à se sentir moins seuls. Je voulais leur montrer qu’on est nombreux et qu’il faut qu’on se sente représentés et entendus. Que nous sommes légitimes à en parler. 

© Valentine Zeler

Je pense aussi que certaines images, quand elles nous rappellent des éléments qu’on connaît, comme la montagne, la forêt, et qu’on les voit brûler, vont avoir un effet. C’est tout l’enjeu de la solastalgie, voir des paysages qu’on connaît bien changer. Faire appel à nos souvenirs dans la forêt et réaliser que la forêt n’est plus tellement comme celle qu’on connaissait avant. La forêt des Vosges représente la forêt partout dans le monde et les bouleversements globaux.

Sur quoi aimerais-tu travailler pour la suite ?

V. Z. : J'aimerais travailler un peu plus dans la lumière, montrer qu’il y a des choses qui se font, et celles et ceux qui sont déjà dans le nouveau monde. Travailler sur ces gens et montrer à quel point ça peut être chouette et donner envie. Je pense que c’est l’enjeu de demain : travailler pour l’avenir, le monde qu’on veut, le lien avec la nature qu’on pourrait avoir.

© Valentine Zeler

On vous laisse à présent explorer le site de Valentine Zeler, contempler ses images, écouter chaque vocal, et vous plonger dans ces récits et témoignages de nos paysages qui changent.

Pour plus d'infos :

Valentine Zeler fait également partie de l'aventure collective du Bal des Rejetons : « 31 photographes s'associent pour raconter la France sous toutes ses coutures ». 

Juliette Mantelet
Juliette est journaliste et co-rédactrice en chef. Ce qui l'enthousiasme par-dessus tout, c'est d'explorer le monde qui change et les futurs possibles avec optimisme par le biais de la littérature et de la pop culture.
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