Sur le papier, la vanlife – mode de vie en véhicule aménagé – a tout pour séduire les adeptes d'un quotidien frugal et écolo au contact de la nature. Mais dans les faits, qu'en est-il vraiment ?
Un combi Volkswagen jaune, les fenêtres ouvertes sur le large et les flots, des planches de surf accrochées sur le toit… Des voyageurs posés avec une bière devant leur van face à un coucher de soleil splendide, seuls au monde… On a tous en tête ces clichés quand on évoque la vanlife. La vanlife, qui naît à l’origine à l’époque du mouvement hippie, avec cette envie de liberté et de paysages, de nomadisme sans contrainte, est devenue une culture à part entière, un véritable mode de vie plus au contact de la nature représenté dans de nombreuses œuvres culturelles. Aujourd’hui, plus que jamais après de longues périodes confinées, la vanlife à la côte, les chiffres de location de van aménagés explosent et nous connaissons tous quelqu’un qui a pour projet de retaper son fourgon. Mais tout minimaliste et nature-friendly soit-il, ce mode de vie est-il si écolo qu'il en a l'air ?
Un rejet de la société de consommation
La vanlife apparaît aux États-Unis dans les années 50, du côté de la Californie, terre de soleil et de grands espaces. Le mouvement est lancé véritablement avec la création des premiers combis Volkswagen, présentés en 1950 en Allemagne pour la première fois, et vite repris par la jeunesse hippie des années 60-70 comme symbole ultime de liberté, avec leurs vingt et une fenêtres ouvertes sur l’extérieur et leurs couleurs vives Flower Power. Le mouvement hippie rejette le mode de vie traditionnel qu’on lui propose, le conformisme et l’American way of life, et s’impose vite comme une contre-culture plus écologiste et égalitaire. Sur la route de Jack Kerouac, publiée en 1957, devient œuvre emblématique du mouvement. L’histoire de la vanlife suit aussi de près celle de la culture surf. Après la seconde guerre mondiale, la jeunesse a envie de liberté, de paysages et la Californie devient vite la capitale mondiale du surf. Le surf est intimement lié à cette vie nomade en van : on prend ses planches, on roule, on dort dans son combi à la recherche de la bonne vague, sans attache. On vit en pleine nature, c’est elle qui guide, et on s’oppose ainsi à la société de consommation des années 1960 en Amérique. Rejoindre le mouvement de la vanlife, c’est alors faire un pied de nez aux travailleurs en costumes bien rangés qui vivent pour amasser de l’argent, et rechercher plutôt d’autres sensations au contact de la nature.
Un tourisme plus lent
Dans son Manuel de l’antitourisme, Rodolphe Christin, sociologue, propose des pistes pour quitter le statut de touristes et redevenir des voyageurs. Voyager plus longtemps, plus lentement, privilégier la rencontre... Rodolphe Christin rappelle, entre autres, que « préférer le chemin à la destination est une partie de solution » pour un voyage plus durable, et qu’auparavant le trajet constituait une aventure en soi, ponctuée d’aléas, d’imprévus, de galères. Le trajet invite à « privilégier des transports dans lesquels on se rend véritablement compte qu’on se déplace, avec lesquels on est susceptible de connaître des imprévus, des faire des rencontres », pour voyager dès que l’on ferme sa porte. Le voyage en van répond à la plupart des critères de ce tourisme lent (ou slow-tourisme) et donc, a priori, plus responsable. On s’adapte à la nature, on dépend entièrement des aléas de la météo, on collabore avec les autres voyageurs présents sur les spots, on prend le temps de découvrir les paysages qui ponctuent notre itinéraire, on s’arrête… pour résumer, on est plus conscients de ses déplacements.
C’est en tout cas ce que met en avant la jeune génération de la vanlife, celle qui achète un van d’occasion et l’aménage. Pour Marie, 26 ans, qui vient d’acheter son van à elle, la vanlife permet de prendre conscience « de la valeur des choses ». « En termes de distance, tu te rends compte du temps que ça prend de parcourir la France du Nord au Sud. En avion, on perd complètement cette notion, on a l'impression que rien n’est loin. Se rendre compte de la distance, réaliser la difficulté d'accéder à certains lieux, c’est aussi ça la vanlife. » La jeune femme souligne aussi le sentiment de liberté que lui procure le fait de voyager en van, sans besoin de réserver le moindre bus ou hôtel, ni même de savoir où elle va. Une forme de voyage qui redonne le goût de l’improvisation. « Je choisis un point sur la carte que j’ai envie de découvrir, je roule et j’y vais. Sur la route, si je vois un joli coin je peux m’arrêter, rester autant de temps que je veux. » Elle insiste aussi sur les rencontres facilitées sur la route, les échanges précieux et fluides avec celles et ceux qui partagent les mêmes galères qu'elle, mais surtout les mêmes valeurs et la même ouverture d’esprit.
« En van, on réapprend au contact des autres et de la nature. » Marion, 27 ans, qui a acheté et retapé son van pendant la crise sanitaire (et lui a même dédié un compte Instagram, Philibert l’Aventurier), partage ce sentiment de lenteur retrouvée. « En van, j’ai la possibilité de vivre lentement, en me laissant porter par les choses simples de la vie. Tout est beaucoup plus lent, même faire à manger demande beaucoup plus de temps. » Marion aime prendre les petites routes, se poser au hasard et découvrir un nouveau paysage chaque matin au réveil. Pour elle, la vanlife a aussi été un moyen de repenser de manière globale sa manière de voyager et de partir sur la route tout en respectant ses valeurs écologiques : en privilégiant la consommation locale, en vivant uniquement avec l'électricité fournie par son panneau solaire... « On vit dehors et en totale communion avec la nature. Il y a vraiment cette notion de vivre avec elle. Des fois c’est comme si le temps s’arrêtait, on revient vraiment à l'essentiel, et c’est ce que je recherche le plus en voyageant de cette manière. » Pour Joana et Eric, le couple qui se cache derrière le compte Instagram Des Fenêtres sur le Monde, suivi par près de 66 000 abonnés, et qui vit sur la route depuis 2015, le van est un « prétexte pour vivre dehors ». Ils expliquent : « On est très rarement dans le van en réalité, on vit à l’extérieur, on est tout le temps dehors. On est plus connecté à ce qui nous entoure, quand il commence à faire nuit on va se coucher, on a un rythme calé à celui de la nature, et plus ce rythme sociétal imposé avec des horaires très définis et normalisés. En van, notre normalité est liée véritablement à ce qui nous entoure ».
Tous évoquent aussi la vanlife comme un moyen de s’initier au minimalisme, imposé notamment par la taille de la maison sur roue avec laquelle on se déplace. Pour Marie, « la vanlife te remet les pieds sur terre ». « Ça me plaît de savoir que je peux vivre avec moins de choses. Je me douche avec une bouteille d’eau, je fais des repas beaucoup plus sobres, je gère mieux mes déchets car je ne peux tout simplement pas en stocker beaucoup, je consomme peu d'électricité ». Même son de cloche pour Joana et Eric qui, d’abord partis en 2015 pour un roadtrip de six mois entre le Canada et les USA, n’ont finalement plus jamais changé de mode de vie. « On est tombés amoureux de cette façon de voyager et de vivre, bien plus minimale. Tout ce qu’on possède est regroupé dans un petit véhicule et c’est alors devenu une évidence : on n’a pas besoin de plus ». La sobriété retrouvée, voilà qui devrait plaire à nos adeptes de cols roulés.
Cette lenteur, cette connexion totale avec la nature et l’environnement et ce minimalisme subi font qu’on associe presque instinctivement la vanlife à un mode de vie et de voyage plus écologique, plus en adéquation avec l’urgence climatique qui nous contraint à repenser nos manières de nous déplacer, à imaginer d’autres manières de s’évader sans prendre l’avion pour un week-end. Mais à l’heure où la vanlife séduit de plus en plus d’adeptes, les hippies laissant la place aux digital-nomads et aux influenceurs voyage, peut-elle rester responsable ?
La vanlife ou la van-consommation ?
Comme les ventes de maisons en Bretagne, les ventes de camping-cars et fourgons aménagés ont progressé en France de 25 % ces deux dernières années. Et sur Instagram, le #vanlife explose avec plus de 13,9 millions de publications. L’envie de nature et de liberté est exacerbée après les nombreuses périodes de confinement qui ont rimé pour beaucoup avec enfermement urbain… Et du temps à revendre, pour retaper un van, par exemple. Tout le monde se met donc à partager ses travaux de rénovation de fourgons, sa reconnexion magique avec la nature, et surtout ses clichés de spots idylliques au bord d’un lac de montagne ou sur une plage de sable blanc. Le mythe des hippies californiens devient accessible. Et ces mêmes spots, soigneusement géo-localisés, deviennent de plus en plus souillés. C’est ce que dénonce la youtubeuse Little Gipsy, suivie par 88 000 personnes sur Youtube, notamment dans une série de vidéos sur la face cachée de la vanlife. Pour elle, il est impossible de faire rimer vanlife et écologie. Elle est catégorique. « Avec l’envers du décor de la vanlife, que j’ai pu découvrir en la vivant au quotidien, je ne me sens pas du tout écolo en voyageant avec mon van, je le suis beaucoup plus en voyageant avec mon sac à dos en bus et transports en commun », exprime-t-elle, avant d’aborder le problème crucial du partage des spots. On s’imagine tous que partir en van, c’est se retrouver solo sur un spot en pleine nature, dénicher des endroits où personne ne va. C’est l’image même de la culture vanlife, mais cette réalité n’en est plus une à l’heure où l’on géo-taggue la moindre de nos photos Instagram pour prouver qu’on était bien là.
Little Gipsy, Morgane de son vrai prénom, évoque ce lieu cher de son enfance, au bord d’une rivière, connu seulement par les gens de son village. Aujourd’hui, il s’est retrouvé ajouté sur une application de vanlifers - et il en existe de nombreuses pour partager ses lieux coups de cœur - et est désormais truffé de vans. Les locaux ont même l’impression de déranger. « Et quand tu vas derrière les arbres, là où on se posait avant pour faire un pique-nique, c’est désormais rempli de PQ » déplore Morgane. Il y a de plus en plus de vans sur les routes de France, et donc de plus en plus d’endroits exposés. « Quand quelque chose de bien devient tendance, c’est là où d’autres extrêmes arrivent. La vanlife est devenue de plus en plus à la mode et ça n’attire plus forcément les bonnes personnes qui sont là pour se reconnecter à la nature » met en garde Morgane, qui a d’ailleurs fait le choix de ne jamais partager les lieux où elle reste, et ne répond jamais aux sollicitations de ses abonnés sur ce sujet. Joana et Eric, dans leur livre France : Road trips en van, paru chez Albin Michel ne communiquent pas non plus les spots exacts, mais plutôt leurs ressentis. Morgane va plus loin et livre des conseils pédagogiques sur sa chaîne Youtube et s’investit d’une vraie mission éducative, celle de « transmettre le bon savoir vivre dans la nature ». « Aujourd’hui, si tu fais des vidéos sur le voyage ou le roadtrip, tu as une grosse responsabilité », ajoute-t-elle.
Bien sûr, Morgane entend cet impératif de reconnexion à la nature, qui peut faire prendre conscience de certaines réalités, mais elle rappelle quand même que quoi qu’il arrive, « on abîme les spots où on reste » et qu’un voyage en vélo reste bien plus écologique. En van, pour se déplacer, on dépend de l’essence.
Prise de conscience et modestie : la vanlife comme philosophie
Elle ajoute que la vanlife a de multiples visages, et que certains savent aussi rester plusieurs mois sur un même spot, en vivant sans quasiment rien consommer ou acheter, en zéro déchet, dans un mode de vie plus alternatif. Ce mode de vie adopté par Joana et Eric depuis presque dix ans et qui leur a offert un vrai changement de mentalité.
« Avec la vanlife on est en permanence à l’extérieur confrontés à la nature et on est ainsi devenus encore plus attentifs à ce qui nous entoure, à la moindre petite variation de température, aux changements de couleurs en fonction des saisons et au dérèglement qui s’opère actuellement. » Et ce dérèglement, c’est grâce à leur expérience en van que le couple en a pris pleinement conscience. Sur la route, ils vont et viennent, repassant parfois sur un même lieu à quelques semaines ou mois d’intervalle, de quoi réaliser les destructions en cours. Aux États-Unis, le manque d’eau qui s’accentue, au bord du lac Mead par exemple, ou la présence croissante des animaux sauvages de plus en plus proches des villes… Et ce changement visible les impactent directement comme ils vivent à l’extérieur. « On en a plus conscience que si on était dans un appartement à Paris et qu’on voyait ça aux informations. » C’est la solastalgie au fil de la route. « En Alaska, voir les glaciers fondre devant nos yeux, ce n’est pas pareil qu’à la TV, là tu le ressens. Quand tu arrives et que déjà à dix kilomètres du glacier un panneau indique son ancienne position, tu vois qu’il y a quelque chose qui se passe. Et puis tu échanges avec les différentes populations sur les changements qui se sont opérés ces dernières années, leur vision de leur environnement. » Le couple a pris le parti d’alerter sa communauté sur les réseaux, avec des images avant / après de certains lieux. Ils disent recevoir beaucoup de messages et de questions sur ce dérèglement en cours et avoir ainsi repris espoir dans la possibilité de faire ouvrir les yeux, d’opérer une prise de conscience… « On reconnecte aux autres sur la route ou sur les réseaux, et on a moins cette impression qu’on est foutus, qu’on est seuls, qu’on ne peut plus rien faire, qu’il n’y a plus de solution. »
Retrouver une forme de modestie au contact de la nature pour avoir envie de la protéger, comprendre en s'immergeant en son sein qu’elle forme un tout avec nous, indissociable à notre survie, est aussi une manière de susciter l’action. C’est ce que défendent Sandrine Rousseau, Adélaïde Bon et Sandrine Roudaut, dans leur manifeste écoféministe Par-delà l’androcène, en invitant notamment à repenser cette distinction entre nature et culture. « Distinguer nature et culture, civilisé et primitif, sauvage et discipliné, nous oblige à tracer une frontière, une ligne, à hiérarchiser. Malheur à qui se retrouve remisé du côté de la nature. [...] Ceux-là mêmes qui ont théorisé cette séparation absurde se sont identifiés à la culture et, évidemment, à l’action et à la noblesse. Ils ont relégué tout le reste, les animaux comme les femmes, les autochtones, les escales et les enfants, à la nature et à la soumission. » Pour Joana et Eric, « voyager à un rythme plus lent, en étant plus présent dans son environnement, plus attentifs, permet de se rendre compte davantage que nous ne sommes pas grand chose et que la moindre de nos actions a forcément des conséquences ». En van, on nettoie derrière ceux qui souillent pour protéger celle qui nous offre un refuge, si la pluie se déchaîne ou si une tempête s’emmêle, on se sent tout petit face à la nature sauvage, on retrouve sa place à ses côtés, au sein d’un écosystème, en communion, et non au-dessus d’elle, dans notre toute puissance humaine qui s’évertue à la faire disparaître partout.
La culture vanlife touche ainsi à de nombreuses problématiques essentielles au cœur du mouvement écologique actuel : ralentir, retrouver sa vraie place dans la nature, s’effacer, consommer moins… Plus qu’un mode de voyage véritablement plus écologique, elle est une philosophie globale qui doit s’accompagner d’une réelle prise de conscience et d’une mise en garde face aux dérives. La vanlife, comme toute culture au sens d’un ensemble commun de manières d’agir et de sentir, s’apprend et se transmet, elle nécessite réflexions, règles et apprentissages pour renouer durablement à la nature.