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Pour opérer une transition écologique efficace, nous devons activer un maximum de leviers. Aux premières loges ? Les entreprises. Elles sont au cœur de l’activité économique mais aussi de grandes émettrices d’émissions de gaz à effet de serre. Pour les aider à passer à l’action, la comptabilité est un tremplin. Et plus particulièrement ? La matrice de double matérialité et ce que l’on appelle la comptabilité extra-financière. Cette forme de reporting est aussi un aspect obligatoire de la CSRD, cette directive initiée par la Commission européenne avec l’objectif de mieux encadrer les rapports extra-financiers des entreprises en lien avec le développement durable. C’est aussi un outil d’évaluation permettant de fournir une meilleure information et un tracking plus clair quant à la démarche de l’entreprise en termes de Développement Durable. Autrement dit ? Un élément clé.
On vous dit tout dans cet article 😎
Définition du concept de double matérialité
Le terme de matrice de double n’est pas nouveau, au contraire.
Depuis une dizaine d'années, il est déjà l’objet de nombreuses discussions. Certains parlent également de “double importance relative”. Le déclic date en revanche de 2019, date à laquelle cette notion a été intégrée dans la réglementation NFRD (Non Financial Reporting Directive). La démarche s’est ensuite accélérée au niveau français. À l’occasion de l’adoption de la directive CSRD (Corporate Sustainable Reporting Directive) fin 2022, la notion de double matérialité a été intégrée dans les réflexions. L’objectif ? Définir une stratégie de reporting adaptée aux entreprises et aux enjeux de demain.
Avant de rentrer dans le détail de cette matrice, regardons le cadre de reporting dans lequel elle s’inscrit, via la CSRD.
Retour sur la directive CSRD
Topo sur la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive)
Nous l’avons évoqué en introduction, depuis 2023, la double matérialité est devenue un élément obligatoire dans le cadre de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et ce pour toute entreprise de plus de 500 salariés (soit plus de 11 000 entreprises et groupes dans l'UE).
Cette fameuse CSRD a été conçue à la fois pour démocratiser l'approche des rapports extra-financiers mais aussi et surtout pour encourager les entreprises à tendre vers une vision de la finance plus accès sur la durabilité.
🖐 Bon à savoir : Il est important de souligner qu’au-delà de l’obligation réglementaire, la CSRD est aussi une analyse permettant de fournir des informations claires quant à la démarche environnementale de la société et de rassurer les parties prenantes de l’entreprise (investisseurs, partenaires, candidats, fournisseurs, etc…). C’est donc un gage de qualité permettant d’attester d’une démarche complète et pertinente sur le long terme.
Les éléments clés de la CSRD
Le reporting lié à la CSRD a pour but de mesurer notamment les sujets suivants :
- Protection de l'environnement
- Responsabilité sociale (à savoir la RSE, l’ESG et le traitement des employés)
- Respect des droits de l'homme
- Mesures de lutte anti-corruption
- Diversité au sein des conseils exécutifs des entreprises
- Gestion des risques en lien avec le réchauffement climatique
Bref, le panel est large. Il y a par ailleurs de fortes raisons de penser que celui-ci sera également plus large à terme afin d’englober plus d’éléments et d’être le plus pertinent possible.
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3 axes concrets pour appliquer la CSRD
Pour passer à l’action avec la CSRD, voilà 3 axes incontournables :
- Renforcer sa stratégie RSE : Il s’agit d’allier impact social et environnemental et performance économique. Cela correspond d’ailleurs à l’acronyme de RSE : Responsabilité Social et Environnementale. Pour cela, il est possible de démarrer par un audit RSE. À partir de cette analyse, l’entreprise peut alors clarifier un plan d’action, mobiliser ses collaborateurs, définir des KPI précis afin de suivre l’évolution de sa stratégie RSE
- S’appuyer sur les critères des normes ESG pour affiner sa vision : ESG est l’acronyme de Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance. Ces derniers sont encadrés et permettent de collecter de nouvelles données pour venir étoffer le rapport extra-financier.
- Réaliser un bilan carbone : Ce dernier est un outil largement apprécié par les entreprises. Il permet d’évaluer les émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre générées par l’ensemble des activités d'une entreprise sur un temps et un périmètre donné. Autrement dit ? C’est une analyse qui permet de connaître son impact global en termes d’émissions de CO2. On parle aussi de comptabilité carbone. Pour réaliser ce dernier, trois options : via un expert formé au sujet, via un cabinet spécialisé, via un logiciel en ligne. Tout dépend des moyens de votre entreprise et de l’ampleur de vos activités.
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Les deux piliers de la matrice de double matérialité
Comme son nom l’indique, la matrice repose sur deux éléments clés. Ils sont à la fois indépendants et interdépendants. Zoom et analyse de ces deux piliers.
La matérialité financière selon l’ESRS
C’est une logique qui va de l’externe vers l’interne. Autrement dit ? Tout ce qui se passe à l’extérieur de l’entreprise (contexte économique, climat social, crise climatique, etc…) et qui peut l’impacter, de manière aussi bien positive que négative.
Il existe d’ailleurs une définition officielle proposée par l’ESRS (European Sustainability Reporting Standards), ce fameux ensemble de normes et d’indicateurs définis à l’échelle européenne (via la Commission Européenne).
"Une question de durabilité est importante d'un point de vue financier si elle entraîne ou peut entraîner des effets financiers importants sur le développement de l'entreprise, y compris les flux de trésorerie, la situation financière et les performances financières, à court, moyen ou long terme. C'est notamment le cas lorsqu'elle génère ou peut générer des risques ou des opportunités qui influencent ou sont susceptibles d'influencer de manière significative ses flux de trésorerie futurs. Les flux de trésorerie futurs, ainsi que d'autres facteurs critiques tels que le modèle d'entreprise, la stratégie, l'accès au financement et le coût du capital, sont susceptibles d'influencer la situation financière et les performances financières de l'entreprise à court, moyen ou long terme".
La matérialité de l'impact
Cette matrice est complémentaire à la précédente. La différence ? Elle fonctionne à l’inverse. La logique ici est d’identifier les impacts potentiels de l’entreprise, qu’ils soient positifs ou négatifs, sur son environnement (économique, social, écologique).
Il en existe également une définition plus précise proposée par l’ESRS :
"Une question de durabilité est importante du point de vue de l'impact lorsqu'elle concerne les effets matériels, réels ou potentiels, positifs ou négatifs de l'entreprise sur les personnes ou l'environnement à court, moyen ou long terme. Du point de vue de l'impact, une question matérielle de développement durable comprend les impacts causés par l'entreprise ou auxquels elle contribue, ainsi que les impacts qui sont directement liés aux activités de l'entreprise, à ses produits et à ses services par l'intermédiaire de ses relations commerciales. Les relations d'affaires comprennent la chaîne de valeur de l'entreprise en amont et en aval et ne se limitent pas aux relations contractuelles directes".
Le principe de double matérialité
Le principe de double matérialité se définit par opposition au traditionnel reporting en lien avec les normes ESG. Ce dernier reposait sur une matérialité dite “simple” se concentrant exclusivement sur la dimension financière, les “outside-in”. En d’autres mots ? Tous les facteurs des normes ESG (Environnement, Social et Gouvernance) qui peuvent impacter de façon positive ou négative les activités et la performance de l’entreprise.
La matrice de double matérialité vient apporter une nouvelle dimension. Il s’agit d’ajouter la notion d’impact et le fameux “inside-out”. Autrement dit ? On prend alors en compte les effets que les activités de l'entreprise peuvent avoir sur son environnement (social, écologique, etc…).
Pourquoi la matrice de double matérialité dite simple n’est-elle plus suffisante ?
Une vision insuffisante
C’est un peu comme si pendant des années, nous avions pris compte seulement d’une partie des éléments. Ce qui peut impacter l'entreprise mais pas les conséquences que ses activités peuvent avoir. Pourtant, sur les long terme, ces conséquences pourraient avoir un impact sur l’entreprise elle-même, et notamment en raison du réchauffement climatique.
Autrement dit ? Tout ce que l’on fait a un impact. Il convient d’en tenir compte pour le maîtriser et surtout d’agir de façon à le réduire. Pour la planète, pour les humains, pour la pérennité des entreprises. C’est une vision qui est gagnante pour tout le monde.
Cas pratique pour mieux se projeter
Parlons par exemple des gaz à effets de serre émis par une entreprise dans le secteur du textile.
Sur le court terme, ça ne l’impact en rien. Elle décide donc de ne pas en tenir compte. Pourtant, cet impact, cumulé à celui des milliers d’autres entreprises qui ont adopté la même démarche, conduit à l'accélération du réchauffement climatique. Impacts potentiels ? Un phénomène climatique extrême vers ses unités de production, une difficulté à se fournir en matières premières, des enjeux sociaux et des populations qui sont forcées d’être déplacées… Bref, les conséquences potentielles sur le long terme sont multiples et surtout colossales.
6 étapes clés pour mettre en place la double matérialité dans son entreprise
1. Cartographier les enjeux
Il s’agit d’identifier la liste des enjeux potentiels. Il y a d’ailleurs une liste officielle définie par l’ESRS avec des impacts liés à l’environnement, au social ou encore à la gouvernance. Dans les prochains mois, une version plus détaillée devrait être publiée, de façon à avoir une analyse encore plus fine et poussée.
Voici quelques exemples d’enjeux potentiels
2. Consulter les parties prenantes
Cette étape n’est pas obligatoire mais largement recommandée. En effet, rien de mieux que de discuter avec les parties prenantes concernées pour construire ensemble une approche efficace et pertinente. Cela peut aussi permettre d’anticiper d’éventuelles controverses, engager un dialogue social, appréhender une vision plus complète de la stratégie de l’entreprise.
3. Mesurer l’impact potentiel sur chaque enjeu
Pour cela, l’EFRAG a fourni une méthodologie clé en main. Cette dernière précise notamment un ensemble de points :
- qualité de l’impact (positif ou négatif)
- type d’effet (avéré ou potentiel)
- gravité de l’impact (selon l’importance, le scope, la remédiabilité)
- la probabilité d'occurrence
- l’échelle de temps.
Une fois que la démarche est faite pour chaque impact, il s’agit d'additionner tous les impacts potentiels pour avoir la vision globale à l’échelle de l’entreprise. Il est aussi essentiel de pondérer les résultats. Autrement dit ? Les données doivent être ajustée selon le nombre de parties prenantes interrogées et selon la taille de l’entreprise (sur la base du chiffre d’affaires ou des Équivalent Temps plein (ETP)).
4. Identifier des seuils
Ce sont les limites à ne pas dépasser. Ces dernières sont définies de manière chiffrée pour chaque zone d’impact. Si jamais le cap est passé, l’entreprise devra alors fournir un rapport spécifique expliquant les raisons. Il est donc important que les seuils définis soient cohérents et raisonnables.
5. Fournir un rapport
À date de publication de cet article, il n’y a pas de forme imposée ou de format type. Cela peut donc être un texte, un graphique, un tableau, ou encore une matrice. Chez Carbo, nous constatons qu’en général c’est d’ailleurs ce dernier format qui est privilégié. Cela permet ainsi d’avoir un visuel qui permet de comprendre efficacement tous les enjeux.
À quoi ressemble concrètement la double matérialité ?
Une fois la démarche mise en place, l’entreprise pourra alors avoir des graphiques comme ceux présentés ci-dessous. Ces derniers lui permettent de mieux appréhender les enjeux mais aussi d’identifier les potentielles opportunités. Il s’agit d’avoir une vision plus claire et complète de son environnement et de pouvoir ainsi avancer avec une stratégie plus pertinente.
La matrice de double matérialité doit-elle figurer dans le rapport de durabilité ?
Le rapport de Durabilité a remplacé le fameux DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière) à la suite Green Deal européen.
Contrairement au DPEF où les entreprises présentent leur modèle selon leurs propres critères, le principale changement sera maintenant se conformer à plus de standard et monter notamment en quoi ses actions sont compatibles avec les transitions sociétales et environnementales
Quels enjeux pour le reporting extra-financier demain ?
Le sujet est encore naissant et les contours à préciser. Pourtant, il est essentiel si l’on veut s’inscrire dans une démarche proactive et constructive vis-à-vis des enjeux du réchauffement climatique. Il s’agit d’un changement radical dans la vision de la société et du capitalisme au sens large. On ne tient plus simplement compte de l’aspect financier, on analyse aussi les répercussions sur tout notre environnement. L’émergence de cette réflexion est un excellent signal pour la suite. Nous vous tiendrons informés des prochaines avancées.
La double matérialité est-elle une obligation pour les entreprises ?
Pour l’instant, les procédures engagées en matière d’obligation concernent principalement les grandes entreprises. Voici les échéances prévues (qui sont sujettes à évolution) :
- À partir de 2025 (sur les données 2024) : les entreprises déjà concernées par la NFRD (Entités d’intérêt public de + de 500 salariés en moyenne, 20 M€ de total bilan ou 40 M€ de chiffre d’affaires
- Dès 2026 (sur données 2025) : les entreprises qui dépassent 2 des 3 seuils suivants : +250 collaborateurs en moyenne, 40 M€ CA ou 20 M€ de bilan
- Dès 2027 (sur données 2026) : les PME cotées sur un marché règlementé de l’UE (10 à 250 salariés), avec une possibilité de différer leur obligation de reporting pendant 3 ans avec un standard allégé
- Dès 2029 (sur données 2028) : les entreprises non-UE qui génèrent un CA > 150 M€ dans l’UE pendant les deux dernières années consécutives et qui ont au moins une succursale ou filiale dans l’UE qui génère un chiffre d’affaires > 40M€ l’année précédente